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Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/294

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disparition, étaient là, les pieds libres ramenés sous eux, les mains encore ficelées derrière le dos.

Saladin avait mis un doigt sur ses lèvres.

Mais la recommandation du silence était bien inutile avec ces deux sphinx.

Pas un muscle de leur face bronzée n’avait tressailli en voyant l’interprète.

Et pourtant, que savaient-ils ? Quels jouets étaient-ils dans la main de cet homme ?

Quels rôles leur réservait-il dans le drame qui se préparait ?

Pris sous leurs méharis abattus par une décharge, attachés par le cou et trainés vers le camp français par deux chasseurs d’Afrique, interrogés, bâtonnés, menacés de mort, ils s’étaient soudain trouvés en face d’un homme qui parlait leur langue comme sa langue maternelle, et qui leur avait dit :

— Dieu m’envoie vers vous pour vous délivrer des mains de ces maudits. J’en ai pris les habits pour mieux les tromper, mais je suis un fidèle comme vous, un musulman comme vous et mon sang comme le votre appartient au Sultan, notre maître. Qu’aucun geste, qu’aucun regard ne trahisse votre surprise aux yeux de ces Roumis qui m’écoutent sans me comprendre et qui me croient assez vil pour vous demander de trahir vos frères. Êtes-vous décidés à m’obéir aveuglément.

Ils avaient échangé un regard, avaient répondu affirmativement d’un signe de tête, et s’étaient alors trouvés dans l’espace sur les ailes d’un oiseau inconnu.

Puis, au moment où ils se demandaient s’ils n’étaient pas les jouets d’une hallucination, ils avaient revu leurs frères, et pour la dernière fois sans doute avaient fait la prière avec eux.

Et de retour au camp français, pendant qu’à la tombée de la nuit tout le monde absorbé sur le pont ne songeait plus guère à eux, accroupis dans l’ombre des bateaux pliants, ils avaient soudain senti leurs jambes libres et Saladin leur avait dit très bas dans leur langue :

— Suivez-moi sans bruit.

Ils l’avaient suivi, se glissant comme des couleuvres par