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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/119

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sous la main, demain ou dans vingt ans, jamais supplice n’aura égalé le sien.

Et depuis il avait interdit qu’on lui reparlât d’elle. Plus d’une fois, pourtant, Omar avait essayé d’amener la conversation sur ce passé, d’implorer le pardon, mais le Sultan lui avait imposé silence d’une voix dure.

Qui sait même si, au fond de tout ce fanatisme déployé depuis dix ans, il n’y avait pas le souvenir de cette torture cachée ?

Qui sait si tous ces plans si obstinément suivis, ces préparatifs de guerre faits de longue main, n’avaient pas pour cause l’ardent désir de se venger à la fois de l’infidèle et du traitre ?

Oui, qui sait !… Celui qui eût pu lire dans l’âme de ce vieillard traînant derrière lui des millions d’êtres, y eût peut-être lu, à côté du nom du Dieu qu’il invoquait, celui de la sultane Hézia.

L’amour n’a-t-il pas été dans tous les siècles le moteur principal de toutes les actions humaines et le point de départ des plus grands événements ?

Quant à Omar, on juge de son émotion lorsque, après de longues années, il avait reçu des nouvelles de sa mère.

C’était une vieille femme maintenant, brisée par la douleur et la honte : Dieu lui avait épargné la douleur d’une seconde maternité, et elle ne parlait plus que de son petit Omar, qu’elle aimait par-dessus tout et qu’elle désirait tant revoir avant de mourir.

Oui, elle le reverrait peut-être, mais pour mourir presque aussitôt après.

Car Abd-ul-M’hamed avait juré : il ne pardonnerait pas.

— Nubar, dit le jeune prince, j’aurai besoin de toi, plus tard, quand nous arriverons près le Stamboul.

— Je suis ton serviteur, dit le vieil officier.

— Tu es prêt à m’obéir quoi qu’il arrive ?

— Quoi qu’il arrive : ne sais-tu pas que je t’ai vu naître et grandir, poursuivit-il d’une voix attendrie ; que je comptais sur toi pour relever notre pauvre Turquie dont les chrétiens se disputent les lambeaux ; que je compte encore sur toi aujourd’hui, et que je te suivrai aveuglement partout.