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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/149

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L’heure d’agir était passée ; les outres étaient maintenant dispersées le long du rivage, enfouies dans le sable et les plongeurs Danakils, campés auprès d’elles, les gardaient comme ils eussent fait d’un trésor.

Et maintenant de Melval tremblait pour cette flotte ; endormie dans une incroyable sécurité, elle lui paraissait perdue malgré sa puissance et son éloignement.

Encore ignorait-il les entrevues secrètes des officiers turcs avec le Sultan et ne doutait-il guère de la diversion qui allait contribuer si puissamment au succès.

Cette redoutable escadre allait finir comme ces fauves endormis dans les grands bois du Dar-Banda, qu’il avait traversés dans le haut bassin de l’Oubanghi ; ils se réveillent soudain entourés, couverts de fourmis rouges, et ils ont beau se rouler, se secouer, les écraser par centaines, ils succombent dévorés vivants.

Il passa une nuit affreuse, voyant, les yeux ouverts, la mer couverte de débris et au milieu d’eux des figures exsangues, portant l’uniforme de marins français.

Puis les cauchemars succédèrent aux visions… les noyés se dressaient debout sur les eaux, le fixaient d’un air de reproche et de leurs lèvres vertes tombaient ces mots :

— Si tu avais voulu… notre vie ne valait-elle pas le sacrifice de ton honneur ?

Il s’éveilla avant l’aube, couvert de sueur et se répétant la phrase d’Omar, la veille :

— Les vaisseaux français occupent les cinquième et sixième rangs en première ligne à partir du Nord.

Il quitta le camp, se dirigea vers la mer.

Plusieurs fois avec Zahner il était allé regarder du haut des falaises la longue ligne des bâtiments.

Quelle émotion avait produite en eux la première fois la vue de cette forêt de mâts où flottaient tant de couleurs différentes !

Il y avait près d’un an qu’ils n’avaient aperçu aucun vestige de leur pays, et le spectacle de ces citadelles puissantes qui en étaient comme les fragments récemment détachés les avait absorbés là pendant de longues heures.

Peut-être même leurs visites fréquentes à ce rocher un peu isolé des autres, loin des observatoires des Adalis,