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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/77

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mon pays, alors qu’au fond de vous-même vous vous en moquez absolument.

De Melval serra les poings : il fit un pas sur l’interprète.

— Misérable ! fit-il.

Mais Saladin sans s’émouvoir :

— Misérable ! oui, parce que je vous ai deviné, parce que j’ai compris parfaitement que votre grand grief contre moi est l’amour que j’éprouve pour Mlle Fortier.

L’officier rugit, fit un bond.

— Taisez-vous ! taisez-vous ! cria-t-il, je vous défends de prononcer son nom.

Saladin n’avait pas bronché. Un mauvais sourire passa sur ses lèvres, et ce fut en scandant ses mots qu’il répondit :

— Vous me défendez ! Diable ! Vous êtes en retard de quelques mois à ce qu’il parait, et vos dernières nouvelles ne sont pas fraîches. Et si je vous disais que c’est à moi de vous faire défense de parler d’elle.

— À vous ! fit de Melval, dont une horrible angoisse venait d’étreindre le cœur.

— Oui, à moi ! car il est inutile que je vous en fasse un mystère : Christiane et moi nous sommes fiancés.

Un lourd silence suivit ces mots.

Puis de Melval partit d’un éclat de rire. Mais son rire sonnait faux et ses mains tremblaient.

Il eût voulu pulvériser d’un geste l’homme qui venait d’avoir cette double audace : l’appeler « Christiane », elle, et lui donner ce nom de fiancée, à elle !

Ce doux nom, qu’elle avait jadis accepté de lui-même, lorsqu’en sanglotant elle l’avait vu partir.

Il entendait encore ces mots fiévreusement répétés : « Je vous attends !… toujours !… je vous attends !… »

Et il eût suffi de moins d’un an pour que l’oubli arrivât, pour que la pensée d’un autre absorbât ce cœur si plein de lui, pour qu’elle en fit le don une deuxième fois !

Et à qui ?

Il toisa son rival d’un regard qui l’enveloppait tout entier ; il essaya de lire dans ces yeux faux, dans ce regard fuyant…

Il y surprit un éclair de plaisir traversant un sourire satanique, et se dit, angoissé :

— Si c’était vrai, pourtant !