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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/78

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Et aussitôt il ajouta :

— Aurais-je le droit de me plaindre ?

Mais cette réflexion ne tint pas une seconde.

Lui-même, il est vrai, et il se le reprochait amèrement à cette heure, s’était laissé griser par le parfum de Nedjma ; il avait éprouvé pour elle plus que de l’affection ; il avait senti se glisser dans ses veines le fluide qui porte à l’extrême folie…

Mais cette folie, il avait su la fuir à temps, et ce n’était pas l’une des moindres victoires qu’il eût remportées sur lui-même.

L’influence des milieux, l’étrangeté des circonstances, la tristesse de l’isolement, l’incertitude de l’avenir, tout s’était conjuré contre lui, et, pourtant, il était resté fidèle au serment d’Alger : « À vous… toujours !… à vous seule !… »

Maintenant, l’amour ancien revenait battre à coups précipités la porte de son cœur.

Il sentait vibrer de nouveau la passion endormie sous l’archet puissant de la jalousie, et il se répétait, les lèvres serrées :

— C’est impossible… il ment !… Mais pourquoi ce mensonge ?

Il fit un effort surhumain pour se dominer :

— Allons donc, fit-il enfin en haussant les épaules, vous êtes fou d’espérer me faire croire pareille invention ; je connais trop Mlle Fortier, et il appuya sur cette appellation respectueuse, comme s’il eût craint de salir l’autre nom en le répétant devant cet homme ; je la connais trop, reprit-il, pour la croire capable d’un parjure d’abord… d’un pareil choix ensuite.

— D’un parjure, ricana l’interprète qui fit semblant de ne pas sentir l’insulte contenue dans les deux derniers mots, d’un parjure ! Est-ce que la mort ne délie pas de tous les engagements ? Ignorez-vous qu’on vous croit mort à Alger depuis longtemps ? Soyez satisfait… Mlle Fortier vous a pleuré trois longs mois, ne voulant voir personne ; si on ne l’en avait empêchée, elle aurait même commis l’inconvenance de prendre le deuil…

De Melval avait toutes les peines du monde à se contenir ; instinctivement, il se tournait vers Zahner qui écoutait visiblement gêné, se demandant s’il n’allait pas lui crier :

— Tuez-le comme un chien enragé ; allez, tuez-le !…