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Page:Driant - L’invasion noire 2-grand pèlerinage à la Mecque,1913.djvu/89

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de l’arrivée du ballon. Pendant la nuit suivante elle l’avait entendu sangloter ; mais guidée par un secret instinct, elle avait senti qu’il avait besoin d’isolement et pendant plusieurs jours avait évité de l’interroger.

Le lendemain, d’ailleurs, le ballon était parti ; depuis une semaine il n’avait pas reparu, et la plus cruelle appréhension de la jeune fille, celle de voir le bien-aimé s’envoler par cette voie, s’était calmée.

Maintenant elle pouvait essayer, non pas de savoir, que lui importait ? mais de consoler.

Elle reprit

— Tu ne pars pas, n’est-ce pas ? Oh dis-moi que tu ne partiras pas ; si tu quittais ta petite étoile, elle s’éteindrait toute seule, ne le sais-tu pas ?

Et après un silence

— Pourquoi es-tu malheureux, Lioune ? tu étais si gai et moi j’étais si heureuse ! C’est dans tes yeux que je cherche la joie ou que je trouve le souci. Quand je les vois riants, mon cœur chante ; quand ils s’assombrissent, tout est noir autour de moi… et je suis triste, triste, depuis plusieurs jours.

Oui, je comprends, poursuivit-elle, les yeux songeurs, cet homme qui est venu t’a parlé de ton pays et les Francs aiment leur pays plus que tout le reste.

Moi, je ne pense plus à mon pays ; mon père et ma mère sont loin, bien loin ; peut-être sont-ils près, tout près, suivant, eux aussi, notre seigneur le Sultan ; ils ont leur destinée et moi j’ai la mienne qui est de t’aimer ; mes brebis me cherchent, ma petite chamelle blanche porte sans doute de lourds fardeaux… que m’importe ? mon pays c’est toi !

Écoute, Lioune, aujourd’hui dans l’oasis j’ai vu un aloès en fleur et j’étais heureuse, car l’aloès ne s’épanouit que tous les cent ans : il laisse passer des générations d’hommes, puis sa corolle, apparue soudain, émerveille par son éclat, et les jeunes filles qui la voient sont sûres d’être aimées. C’est notre poète Beiram qui l’a dit : j’ai vu aujourd’hui l’aloès en fleur.

Elle parlait arabe et les mots avaient dans sa bouche la pureté du cristal. Maintenant l’officier l’écoutait ; son cœur meurtri était caressé par une brise très douce, comme les