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Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/157

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qui, en limitant la faiblesse, l’accusent : il n’acceptait pas toujours l’argent qu’on lui offrait, il y gagnait l’idée de son honnêteté, déplorable illusion qui lui voilait ses pires faiblesses. Il n’avait ni métier ni famille, mais de vagues camarades çà et là. Il était joli garçon, ce qui lui tenait lieu de tout, mais l’âge venait.

D’un tacite accord, Alain et Milou sortirent du bar pour marcher dans la rue. Milou avait été frappé par l’expression d’Alain.

— On dirait que tu as vu quelque chose d’extraordinaire.

Milou savait qu’Alain se droguait, mais il voyait bien qu’il s’agissait d’autre chose.

— Non, rien… j’ai vu Dubourg, Urcel, j’ai dîné chez les Lavaux. Mais si, c’est vrai, j’ai regardé les gens comme je ne les ai jamais regardés.

— Ah ! oui, quelquefois, comme ça…

— Quelquefois, oui.

Ils descendaient vers l’Opéra, dans des rues vides.

— C’est pourtant malheureux de ne pas avoir de charme, reprit Alain.

— Pas de charme, toi ! protesta Milou avec une vivacité qui en disait long sur sa candide admiration.

Alain évoluait sur un plan supérieur au sien ; alors que lui, Milou, n’approchait les gens que dans les bars, Alain les suivait jusque dans leurs salons.