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Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/177

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les symptômes du grand rien. Tu étais superstitieux. Doux et cruel refuge des enfants révoltés et fidèles jusqu’à la mort à leur révolte : tu te prosternais devant un timbre-poste, un gant, un revolver. Un arbre ne te disait rien, mais une allumette était chargée de puissance.

Tu ne t’es pas occupé de trop près des fétiches nègres, parce que la beauté, tu l’étudiais bien sous toutes ses formes. Tu ne trichais pas comme la plupart de nos contemporains. Vraiment tu n’y comprenais rien. Je t’ai vu bayer devant un Manet comme devant ta mère. Mais tu as été un vrai fétichiste comme le sont les femmes et les sauvages. Dans ta cellule de suicide, quand j’y suis entré, ta table n’avait pas bougé. Elle était chargée d’amulettes et de dieux. Dieux de misère, comme en ont les tribus qui mangent mal, qui ont sommeil et qui ont peur.

On ne peut écrire que sur la mort, sur le passé. Je ne puis te comprendre que le jour où tu es fini.

Tu n’as jamais pensé à Dieu.

Tu as ignoré l’État.

Aussi tu n’as pu sortir du cercle de ta famille et de tes tares. Tu étais sans défense contre les hérédités. Tu ne pouvais te détacher de ton père ni de ton arrière-grand-père. Je t’ai entendu, ivre, gémir comme un enfant ; tu trébuchais dans ton cordon ombilical.

J’ai vécu de toi, je me suis repu de toi, je n’ai pas fini mon repas. Mes amis me nourriront