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Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/20

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réunissait les caractères également horribles de la maison de santé et de la pension de famille.

Il était obligé de regarder les visages qui entouraient la table. Ce n’étaient pas des fous, mais seulement des faibles : ‬le docteur s’assurait une clientèle facile.

Mlle Farnoux souriait à Alain avec une maigre convoitise. Farnoux, les Forges Farnoux, canons et obus. C’était une petite fille entre quarante et soixante ans, chauve et portant sur son crâne exsangue une perruque noire. Née de vieillards, si chétive, si pauvre de substance, elle vivait au milieu de ses millions dans une indigence incurable. De moment en moment, elle venait se reposer chez le docteur de la Barbinais de la fatigue de plus en plus exquise que lui donnait l’effort non pas de vivre, mais de regarder les autres vivre. Élevée dans le coton, elle avait appris de bonne heure à ménager sa respiration‫  ;‬ pourtant, exténuée, elle devait s’arrêter tous les trois mois, et se mettre provisoirement au tombeau. Dans les moments où elle faisait semblant de vivre, elle était, il est vrai, d’une agitation fiévreuse. Escortée d’un énorme chauffeur, qui la portait de salon en salon, et d’une vieille secrétaire humiliée qui lui donnait ses clystères et timbrait sa correspondance, elle courait l’Europe, pour grignoter et décorer toutes les célébrités. Elle était affamée de vitalité ; le peu qu’elle en avait était concentré dans un seul effort, celui d’en découvrir davantage chez