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Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/30

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arbre, une pierre sont plus suggestifs que le corps d’une amante, et il les appelle dieux parce qu’ils troublent son sang. Mais pour l’imagination d’Alain, les objets n’étaient pas des points de départ, c’était là où elle revenait épuisée après un court voyage inutile à travers le monde. Par sécheresse de cœur et par ironie, il s’était interdit de nourrir des idées sur le monde. Philosophie, art, politique ou morale, tout système lui paraissait une impossible rodomontade. Aussi, faute d’être soutenu par des idées, le monde était si inconsistant qu’il ne lui offrait aucun appui. Les seuls solides gardaient pour lui une forme.

En quoi il se leurrait. Il ne voyait pas que ce qui leur donnait encore à ses yeux un semblant de forme, c’était des résidus d’idées qu’il avait reçus malgré lui de son éducation et dont il façonnait inconsciemment ces morceaux de matière. Il aurait ri au nez de quelqu’un qui l’aurait assuré qu’il y avait un rapport secret, ignoré ou nié à tort par lui, entre l’idée de justice par exemple et le goût de symétrie qui tenait sa chambre si bien rangée. Il se flattait d’ignorer l’idée de vérité, mais il s’extasiait devant une pile de boites d’allumettes. Pour le primitif un objet, c’est la nourriture qu’il va manger, et qui lui fait saliver la bouche ; pour le décadent, c’est un excrément auquel il voue un culte coprophagique.

Ce jour-la, Alain jetait sur tout ce qui l’entourait un regard plus suppliant que jamais : le