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Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/32

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désirs, ne pensait qu’à l’argent. Il en était séparé par un abîme à peu près infranchissable que creusaient sa paresse, sa volonté secrète et à peu près immuable de ne jamais le chercher par le travail. Mais cette distance fatale, c’était cela même qui séduisait ses regards. L’argent, il en avait toujours et il n’en avait jamais. Toujours un peu, jamais beaucoup. C’était un prestige fluide et furtif qui passait perpétuellement entre ses doigts, mais qui jamais n’y prendrait consistance. D’où venait-il ? Tout le monde lui en avait donné, des amis, des femmes. Ayant traversé dix métiers, il en avait même gagné, mais en quantités dérisoires. Il avait souvent eu deux ou trois mille francs dans sa poche, sans jamais être sûr d’en avoir autant, le lendemain.

Aujourd’hui, il avait dix mille francs devant lui. Il n’avait jamais tiré dix mille francs de personne d’un seul coup. Sauf de Dorothy à Monte-Carlo, mais c’était pour jouer. Il n’aimait pas le jeu : le jeu n’était pour lui qu’un prétexte à demander de l’argent à Dorothy. Mais il le jouait tout de même ; alors, il le perdait.

Dix mille francs, c’était donc plus que son butin habituel, mais ce n’était pas assez. Ce n’était rien. Il avait deux cent mille francs de dettes, d’abord ; ‬et puis sa faculté de dépenser, sa brusquerie à casser un billet dans une soirée avait crû d’année en année.

Il avait, certes, toujours douté du lendemain, mais la réalité du doute n’était en lui que