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angoissé qu’il y a quelques jours. Avez-vous encore de ces angoisses ?

— Je n’ai pas des angoisses, je suis dans une angoisse perpétuelle.

— Si vous tenez bon encore quelque temps, peu à peu cela va se desserrer.

Alain détournait les yeux de l’hypocrite. Il savait que le docteur, tout aveuglé qu’il fût par la peur, possédait au moins la science extérieure des médecins médiocres ; ‬donc, il mentait comme un arracheur de dents. Comment pouvait-il parler de volonté, alors que la maladie est au cœur même de la volonté ?

Il y a là, en effet, une grande sottise de notre époque : le médecin fait appel à la volonté des gens alors que sa doctrine nie l’existence de cette volonté, la déclare déterminée, divisée entre diverses déterminations. La volonté individuelle est le mythe d’un autre âge ; une race usée par la civilisation ne peut croire dans la volonté. Peut-être se réfugiera-t-elle dans la contrainte : les tyrannies montantes du communisme et du fascisme se promettent de flageller les drogués.

— Une femme saine et forte comme sont ces Américaines vous fera oublier tout cela, répétait le docteur sur tous les tons.

Alain finit par dodeliner de la tête, acquiescer ; car un homme ne peut se maintenir continuellement dans la lucidité où il voit les dernières conséquences de ses habitudes. Il retombe dans