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Page:Drieu la Rochelle - Le Feu Follet (1931).pdf/52

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vate à fond rouge. Cette cravate, il l’avait volée à son ami Dubourg ; ‬il avait cru autrefois qu’il volait par espièglerie, mais maintenant il savait que c’était par convoitise. Il sortit aussi des souliers d’un cuir épais, aux grosses coutures. Élégance effacée jusqu’à devenir terne.

Il ne se pressait pas, au contraire, il ralentissait tous ses gestes. Il aiguisait son désir.

D’ailleurs, ce désir était si abstrait qu’il pouvait presque se satisfaire soi-même. Sa débauche serait purement mentale. Sa prise de possession du monde se réduirait à un seul geste et ce geste ne s’étendrait pas vers les choses. Il écarterait à peine le bras du corps et l’y ramènerait aussitôt : se frapper d’une aiguille. Et pourtant les habitudes d’espoir et de confiance dont est tissée la vie sont si fortes qu’il feindrait de ne pas s’en tenir strictement à ce geste‫ ; ‬il irait à droite et à gauche, il irait vers des gens, il leur parlerait comme s’il attendait d’eux quelque chose, comme s’il voulait partager avec eux la vie. Mais, en fait, il n’en serait rien. À l’encontre de ce que croit le vulgaire, les fantômes sont aussi inefficaces qu’ils sont intangibles.

Il retardait si bien son désir que celui-ci finit par hésiter.

À demi vêtu, il prit dans son armoire, entre deux chemises, un joli petit étui où depuis quelques semaines dormait la seringue. Il la mania pendant une minute ou deux. Il la reposa, il avait peur. Tout à l’heure, il s’était