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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/206

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LA SANTÉ.

Il était plus de minuit ; au milieu de la fumée du tabac, sous la clarté des lampes, les hommes du Comité ne ressemblaient guère à un tribunal jugeant nos plus illustres généraux. Épuisés par un travail qui les accablait d’autant plus qu’ils n’en avaient même pas une notion confuse, soutenant leur énergie défaillante par des verres de vin ou d’eau-de-vie, sommeillants ou surexcités, ils ressemblaient à des spectres ; écrasés de lassitude, ils avaient retiré leur cravate et plus d’un avait quitté ses chaussures. L’impression fut profonde, car elle subsiste encore chez ceux qui eurent à subir ce jugement dérisoire.

Devant la Commission d’enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars, le général Cremer a fait du Comité central une peinture qui doit être reproduite : « C’était un spectacle navrant de voir ces salles de l’Hôtel de Ville pleines de gardes nationaux. Quand on montait par le grand escalier, il y avait dans la grande salle tout ce que l’orgie peut avoir de plus ignoble, des hommes et des femmes ivres ; on traversait deux ou trois autres salles plus calmes, et l’on arrivait à une autre qui donne à l’angle de l’Hôtel de Ville et du quai. C’est là que le Comité central tenait ses séances. Ils se prenaient aux cheveux au bout des cinq premières minutes de délibération ; il n’y a pas de cabaret qui puisse donner idée des délibérations du Comité central ; tout ce qu’on a imaginé d’excentrique dans ces derniers temps pour les petits théâtres n’est rien à côté de ce que j’ai vu… Ils n’étaient jamais plus de six ou sept en délibération. Les uns sortaient, les autres entraient ; il y en avait qui étaient ivres : ceux-là étaient les plus assidus, parce qu’ils ne pouvaient pas s’en aller. Il y en a un de moyenne taille, trapu, ayant les cheveux longs grisonnants, la barbe mal tenue, qui avait toujours son chassepot sur l’épaule gauche ; quand il parlait, à cha-