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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/323

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LA JUSTICE DU PEUPLE.

veille sur le transfert des otages ; mais auparavant on voulut sans doute les épurer et donner une suite aux exécutions dont Sainte-Pélagie et la Grande-Roquette avaient déjà été ensanglantées. Un ordre vague, ne désignant personne nominativement, fut rédigé ; cet ordre prescrivait au directeur du dépôt des condamnés, à Isidore François, de remettre à qui de droit les gendarmes détenus à la Grande-Roquette et tous les otages que le peloton d’escorte pourrait emmener.

L’homme qui se présenta muni de ce mandat se nommait Émile Gois ; il n’en était point à son coup d’essai révolutionnaire. Déporté à Lambessa en 1852, rentré à Paris en 1865, il avait été condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité lors du procès de Blois, et s’était jeté, au 18 mars, dans le mouvement insurrectionnel. Ami intime de Mégy, très lié avec « le général » Eudes, il ne pouvait manquer d’occuper quelque haute situation pendant la Commune ; successivement juge d’instruction, président de la cour martiale, colonel d’état-major, gouverneur des prisons, il avait, dit-on, malgré ces multiples occupations, trouvé moyen de faire, au commencement de mai, un voyage en Belgique, non point pour proclamer la république universelle dans le Brabant, comme on pourrait le croire, mais pour déposer en lieu sûr, à l’abri de ses propres amis et des curiosités de la justice légale, une assez forte somme qui ne paraît pas avoir été le fruit de ses économies. Il avait été jadis employé aux écritures dans une maison de commerce ; c’était un grand garçon de quarante-trois ans, blafard, les joues pendantes et le regard conquérant ; dans l’intimité on l’appelait Grille d’égout.

L’ordre qu’il remit à François ne fut même pas discuté. Il est probable, du reste, que le directeur savait à quoi s’en tenir et qu’il n’ignorait pas le sort réservé