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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/426

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PIÈCES JUSTIFICATIVES.

« Comment des hommes religieux pourraient-ils oublier que dans cette prison Dieu fut invoqué publiquement et solennellement en face des massacreurs dont la rage resta impuissante ?

« Et si cette impuissance se produisit d’une manière inattendue et extraordinaire, pourquoi ne le dirions-nous pas ? Et si quelqu’un veut s’attribuer à lui seul l’honneur principal de cette délivrance qui en a produit tant d’autres, pourquoi ne lui ferions-nous pas remarquer qu’il est dans l’erreur et qu’il offense la vérité historique ?

« Nous avons sagement évité de caractériser le fait de notre délivrance ; mais dussions-nous en souffrir encore, nous ne tolèrerons jamais qu’on le réduise aux simples proportions d’un fait vulgaire qu’un homme prépare d’avance, comme un capitaine prépare une compagnie sous ses ordres.

« Le capitaine en ce temps-là était invisible, il l’est encore aujourd’hui. »

À l’appui de cette rectification, M. l’abbé Amodru cite en pièces justificatives des lettres de MM. Walbert, Arnoux, Rougé, Cuénot, qui furent otages, les deux premiers à la troisième section, les deux autres à la seconde ; en outre, M. Amodru parle d’une lettre de M. l’abbé Bacuez conforme à ses propres souvenirs, mais il ne la produit pas.

Le caractère sacré dont est revêtu M. l’abbé Amodru ne me permet point de douter de ses assertions ; aussi mon embarras est extrême, car un otage de la troisième section, revêtu d’un caractère non moins sacré, présente sous un tout autre aspect l’intervention du surveillant Pinet.

M. l’abbé Lamazou, ancien vicaire de la Madeleine, actuellement curé à Auteuil, animé, comme M. l’abbé Amodru, de l’amour de la vérité et bien décidé à ne point la trahir, a raconté, lui aussi, ses aventures à la Grande-Roquette. Son livre, qui a paru deux mois environ après celui de M. Amodru (voyez la Roquette, préface de l’éditeur), renferme quelques pages qu’il est bon de citer, afin que le lecteur puisse juger par lui-même des difficultés qui assaillent un historien soucieux de l’exactitude, pris entre deux récits contradictoires émanés tous deux de témoins oculaires, de bonne foi et incapables de mentir. M. l’abbé Lamazou dit :

«  À trois heures quelques minutes, les lourds verrous de nos cellules s’agitèrent avec une rapidité inaccoutumée ; j’étais à genoux, récitant d’une voix éteinte l’office de la veille de la Pentecôte. Mon voisin ouvre vivement la porte de ma cellule : « Courage, me dit-il, c’est maintenant notre tour ; on nous fait tous descendre pour nous fusiller ! ― Courage, lui répondis-je de mon côté, et que la volonté de Dieu soit faite ! » Je m’étais déjà revêtu de mes habits ecclésiastiques ; je m’avance au milieu du corridor où étaient mêlés et con-