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Page:Du Camp - Les Convulsions de Paris, tome 1.djvu/427

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PIÈCES JUSTIFICATIVES.
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fondus prêtres, soldats, gardes nationaux. Les prêtres et les gardes nationaux avaient une attitude calme et résignée ; les soldats ne pouvaient croire au sort qui les attendait : « Qu’est-ce que nous leur avons fait à ces malheureux ? Nous nous sommes battus contre les Prussiens, nous avons rempli notre devoir ; pourquoi veulent-ils nous fusiller ? Non, cela n’est pas possible ! » Les uns poussaient des cris de colère, les autres restaient silencieux et immobiles, comme ils avaient été le jouet d’un rêve. Les prêtres se mettaient à genoux pour se fortifier par une dernière absolution ; l’un d’eux engage les soldats à nous imiter et leur adresse quelques paroles d’encouragement.

« Une voix vibrante comme l’airain[1] domine tout à coup ce bruit confus : « Mes amis, écoutez un homme de cœur : ces ignobles scélérats ont déjà tué trop de monde ; ne vous laissez pas assassiner, venez à moi, résistons, combattons : plutôt que de vous livrer, je veux mourir avec vous !… » C’était la voix du gardien Pinet. Ce généreux enfant de la Creuse, ahuri par tant de forfaits, ne pouvait plus étouffer son indignation ; chargé par le sous-brigadier Picon d’ouvrir lentement nos cellules et de nous livrer deux par deux aux insurgés qui nous attendaient au guichet du greffe, il avait fermé sur lui la porte du troisième étage, ouvert rapidement nos cellules pour nous conseiller et organiser promptement la résistance, prêt à sacrifier sa vie, qui ne courait aucun danger, pour nous aider à sauver la nôtre. M. l’abbé Amodru avait pris à son tour la parole et joignait ses protestations à celles de Pinet : « Ne nous laissons pas fusiller, mes amis, défendons-nous ; ayez confiance en Dieu, il est pour nous et avec nous, il nous sauvera !… »

« Les esprits étaient hésitants et partagés : « Se défendre, objecta l’un, est une folie ; nous n’y gagnerons qu’une mort plus cruelle : au lieu d’être simplement fusillés, nous allons être égorgés par la populace ou consumés par les flammes ! ― Faisons monter les gardes nationaux, s’écriait un naïf, nous leur prouverons que nous sommes d’honnêtes gens, et non des voleurs et des assassins. ― Ce n’est pas notre vie qu’on menace, s’écriait un soldat dont l’impartiale vérité me fait un devoir de reproduire les paroles et qui avait aussi peu de discernement que de sens moral ; c’est aux curés seuls qu’on en veut ; n’allons pas exposer notre vie en cherchant à défendre la leur. »

« Je n’avais pas encore dit une parole ; je suivais avec une anxiété facile à comprendre les phases de cet étrange situation ; quelques confrères me demandaient ce qu’il y avait à craindre ou à espérer. « Les sergents de ville qui sont au-dessous de vous, s’écria le gardien Pinet que les hésitations rendaient plus énergique et plus élo-

  1. Ce détail est caractéristique ; la voix de Pinet est, en effet, d’une sonorité exceptionnelle. M. D.