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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/138

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délicatesse de conscience. Il demanda des ouvriers et leur expliqua ce que les livres d’Europe enseignent sur la fonte du canon. Il conduisit donc l’ouvrage ; et le canon fut tel qu’on pouvait le souhaiter. L’empereur en fit faire les épreuves en sa présence : et il en fut si satisfait, que se dépouillant de sa propre veste, il en fit présent au missionnaire devant toute sa cour. Ce canon était en effet assez léger pour être aisément transporté ; et il était fortifié de telle sorte par des soliveaux qui y étaient attachés avec des bandes de fer, qu’il pouvait résister aux plus violents efforts de la poudre.

A la faveur de cette espèce d’artillerie, qui était jusqu’alors inconnue à la Chine, l’empereur força aisément les ennemis dans les endroits où ils s’étaient retranchés ; leur armée fut dissipée, et cette guerre finit par une capitulation qui rétablit la paix, et affermit le prince sur son trône.

L’empereur connût toute l’importance de ce service que le père Verbiest venait de lui rendre ; et la confiance qu’il prit en lui, augmenta de plus en plus. Il l’entretenait souvent avec une familiarité, qui n’est pas ordinaire dans un empereur de la Chine. Il souhaita de l’avoir auprès de sa personne, même dans les plus longs voyages qu’il fit deux fois jusques dans la Tartarie orientale et occidentale. Enfin il voulut qu’il apprît la langue tartare, qui était celle dont il se servait plus volontiers : et pour lui en faciliter l’intelligence, il lui donna un de ses domestiques, qui en possédait toutes les délicatesses. Le Père se rendit en peu de temps si habile dans cette langue, qu’il fut en état de composer une grammaire tartare qu’on a imprimée à Paris, et que tous les ans il donna le calendrier dans les deux langues, la tartare et la chinoise.

Le père Verbiest ne se soutenait dans tous ces travaux, que par ce zèle ardent dont il brûlait pour la conversion des infidèles. Il gémissait souvent du petit nombre d’ouvriers, qui se trouvaient pour recueillir une moisson, qui devenait tous les jours plus abondante. La mort enlevait les anciens pasteurs, et il ne pouvait les remplacer. Le plus vaste champ s’ouvrait à la prédication de l’Évangile dans la Tartarie, dans le royaume de Corée, dans diverses provinces de la Chine même, où la foi n’avait pu encore pénétrer, et de tous ces endroits on lui demandait des ouvriers : il voyait qu’à l’exemple de l’empereur, les vice-rois et les mandarins comblaient d’amitié ceux qu’ils savaient être du nombre de ses frères, que leurs églises et leurs maisons étaient respectées ; que les portes de ce vaste empire, qui avaient toujours été si rigoureusement fermées aux nations étrangères, étaient ouvertes à des hommes, qui avaient tant de part à la bienveillance du prince. Enfin il était persuadé de cette vérité, dont l’apôtre de l’orient, saint François Xavier, était lui-même convaincu, que si la Chine recevait la religion chrétienne, toutes les nations voisines entraînées par son exemple, briseraient bientôt leurs idoles, et n’auraient nulle peine à recevoir le joug de la foi : et c’est ce que les Japonais répétaient si souvent au grand apôtre, lorsqu’il leur annonçait les vérités de la religion.