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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/144

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était extrêmement dur à lui-même, et qu’il se refusait jusqu’au nécessaire. Enfin il s’était fait une loi de ne point paraître en public, ni à la cour, que revêtu d’un cilice, ou ceint d’une chaîne de fer, armée de pointes ; et par ce moyen l’habit propre de sa dignité, ne servait qu’à cacher la mortification de Jésus-Christ qu’il portait sur sa chair.

Tel était cet illustre missionnaire, lequel avait mérité l’estime et la bienveillance d’un prince, qui était lui-même si rempli de mérite. Il fut très sensible à la perte qu’on faisait du père Verbiest, et il l’honora d’un éloge qu’il composa lui-même, et qu’il envoya par deux seigneurs distingués, pour le lire devant le cercueil du défunt, après lui avoir rendu de sa part les mêmes devoirs, qui se rendent, selon la coutume de la Chine à la mémoire des morts. L’éloge était conçu en ces termes.

« Je considère sérieusement en moi-même, que le père Ferdinand Verbiest a quitté de son propre mouvement l’Europe pour venir dans mon empire, et qu’il a passé une grande partie de sa vie à mon service. Je lui dois rendre ce témoignage, que durant tout le temps qu’il a pris soin des mathématiques, jamais ses prédictions ne se sont trouvées fausses : elles ont toujours été conformes au mouvement du ciel. Outre cela, bien loin de négliger l’exécution de mes ordres, il a paru en toutes choses exact, diligent, fidèle, et constant dans le travail jusqu’à la fin de son ouvrage, et toujours égal à lui-même.

« Dès que j’ai appris sa maladie, je lui ai envoyé mon médecin : mais quand j’ai su que le sommeil de la mort l’avait enfin séparé de nous, mon cœur a été blessé d’une vive douleur. J’envoie deux cents onces d’argent et plusieurs pièces de soie, pour contribuer à ses obsèques ; et je veux que cet édit soit un témoignage public de l’affection sincère que je lui porte. »

L’exemple du prince fut suivi de plusieurs Grands de la cour, qui écrivirent sur des pièces de satin des éloges du père Verbiest, lesquels furent suspendus dans la salle où le corps était exposé. Le 11 de mars, qui était le jour fixé pour ses obsèques, l’empereur envoya son beau-père, qui est en même temps son oncle, avec un des premiers seigneurs de la cour, un gentilhomme de la chambre, et cinq officiers du palais, pour y tenir sa place : ils s’y rendirent dès les sept heures du matin.

Le corps du Père était enfermé dans un cercueil d’un bois épais de trois à quatre pouces, vernissé et doré par dehors, selon la coutume de la Chine, et si bien fermé, que l’air n’y pouvait pénétrer. Le cercueil fut porté dans la rue sur un brancard, exposé sous une espèce de dôme soutenu de quatre colonnes revêtues d’ornements de soie blanche, couleur qui est à la Chine celle du deuil ; d’une colonne à l’autre pendaient plusieurs festons de soie de diverses couleurs. Le brancard était attaché sur deux mâts de deux pieds de diamètre, et d’une longueur proportionnée, que soixante hommes devaient porter sur leurs épaules.

Le Père supérieur accompagné de tous les jésuites de Peking, se mit à genoux devant le corps. Ils firent trois profondes inclinations jusqu’à terre, tandis que les chrétiens poussaient des sanglots capables d’attendrir