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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/148

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qui nous empêche de parler. Est-il possible, seigneur, que ce grand prince traite des étrangers, comme s’ils avaient l’honneur de lui appartenir ? Non content de prendre soin de notre santé, de notre réputation, et de notre vie, il honore même notre mort par ses éloges, par ses libéralités, et par la présence des plus grands seigneurs de sa cour, et (ce qu’on ne saurait assez estimer) par sa douleur. Pouvons-nous répondre à tant de faveurs ? Ce que nous vous supplions de lui dire, c’est que nous pleurons aujourd’hui, parce que nos larmes peuvent bien faire connaître la grandeur de notre affliction ; mais que nous n’osons parler, parce que nos paroles ne peuvent pas exprimer tout ce que nous sentons de reconnaissance. »

On rapporta cette réponse à l’empereur, qui en fut content. Quelques jours après, le tribunal des rits présenta une requête à Sa Majesté, par laquelle il demandait, et obtint la permission de décerner de nouveaux honneurs au père Verbiest. Il destina sept cents taëls d’argent à lui élever un mausolée, et outre cela il conclut à faire graver sur une table de marbre l’éloge que l’empereur avait composé, et à députer des mandarins, pour lui rendre les derniers devoirs au nom de l’empire.

Les missionnaires nouvellement arrivés, n’avaient pas encore eu l’honneur de saluer l’empereur, quoiqu’il se fût informé de leurs noms, de leurs talents, et de leur capacité ; et que même il leur eût envoyé de son thé, et du vin de sa table : le deuil qu’il avait pris pour la mort de l’impératrice son aïeule, en fut cause, et retarda même les obsèques du père Verbiest.

Ce fut le 21 mars de l’année 1688 qu’il les admit à son audience. Après plusieurs marques de bonté, il leur fit un reproche obligeant de ce qu’ils ne voulaient pas tous demeurer à sa cour ; et il leur déclara qu’il retenait à son service les pères Gerbillon et Bouvet, et qu’il permettait aux autres de prêcher la religion chrétienne dans les provinces.

L’empereur, qui goûta fort ces deux Pères, leur ordonna d’apprendre la langue tartare, afin de pouvoir s’entretenir avec eux dans cette langue : il leur donna même des maîtres ; et pour s’assurer des progrès qu’ils y faisaient, il les interrogeait de temps en temps, et lisait ce qu’ils avaient composé.

Ces Pères s’étaient déjà rendus habiles dans une langue, qui n’est pas à beaucoup près si difficile que la langue chinoise, lorsque la Providence présenta au père Gerbillon une occasion de rendre un service important à l’empereur. Il s’agissait de prévenir la guerre, qui était sur le point de s’allumer entre les Chinois et les Moscovites. Ceux-ci avaient trouvé le moyen de se faire un chemin depuis Moscou, jusqu’à trois cents lieues de la Chine : s’étant avancés par la Sibérie, et sur diverses rivières, c’est-à-dire, sur l’Irtis, l’Oby, le Genissée, l’Angara, qui vient du lac de Paycal, situé au milieu de la Tartarie ; ils entrèrent dans la rivière de Selenga, et pénétrèrent jusqu’à celle que les Tartares appellent Saghalien oula, et les Chinois He lonkiang, c’est-à-dire, Rivière du dragon noir. C’est un grand