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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/149

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fleuve qui traverse la Tartarie, et se jette dans la mer orientale au nord du Japon.

Non contents de ces découvertes, les Moscovites bâtirent de distance en distance des forts sur toutes ces rivières. Les plus proches de la Chine étaient Selenga, Nipchou, et Yacsa. Les Tartares orientaux, sujets de l’empereur, occupent toutes les terres qui sont entre la grande muraille, et la rivière de Saghalien oula ; surpris de voir que les Moscovites bâtissaient des forts, pour s’emparer d’un pays, dont ils prétendaient être les maîtres ; et qu’ils venaient leur y disputer la chasse des martres zibelines, ils crurent devoir s’opposer à leur entreprise, et démolirent jusqu’à deux fois le fort à Yacsa, qui fut rétabli autant de fois par les Moscovites.

Pour prévenir une guerre funeste, que cette querelle aurait engagée entre les deux nations, on proposa de régler les limites des deux empires. Les Czars de Moscovie envoyèrent leurs plénipotentiaires à Nipchou, et l’empereur envoya de son côté des ambassadeurs, auxquels il joignit le père Pereyra, et le père Gerbillon, pour leur servir d’interprètes. La négociation fut difficile ; les ambassadeurs de part et d’autre ne s’accordaient point, et étaient prêts de rompre les conférences ; l’un et l’autre parti avait à sa suite un corps d’armée, pour terminer par la force ce que la négociation ne pourrait pas décider. Le père Gerbillon tâcha de concilier les esprits ; il passa plusieurs fois d’un camp à l’autre : il proposa des expédients ; et ménageant avec adresse les intérêts communs, il persuada aux Moscovites de céder Yacsa, et d’accepter les limites que proposait l’empereur. Il revint même avec un traité de paix tout dressé, qui fut signé deux jours après par les plénipotentiaires des deux nations.

Toute l’armée félicita les deux missionnaires d’un succès, auquel on ne croyait pas devoir s’attendre. Le prince So san surtout, ne cessait de louer le zèle et la sagesse du père Gerbillon ; et rendant compte à l’empereur de cette négociation, dont il était le chef, il lui avoua que sans le secours de cet Européen, elle eût été absolument rompue ; et que rien n’aurait pu se décider que par la voie des armes.

L’empereur, qui, comme je l’ai dit, goûtait fort le caractère du père Gerbillon, eût encore plus d’affection pour lui après cette preuve qu’il venait de donner de son zèle. Il voulut l’avoir auprès de sa personne au palais, dans ses maisons de plaisance, et dans ses voyages en Tartarie ; et partout il lui donna des marques d’une estime particulière.

Le père Grimaldi, jésuite italien, qui avait succédé au père Verbiest dans la charge de président du tribunal des mathématiques, était allé en Moscovie par ordre de l’empereur. Sa Majesté voulut que le père Thomas et le père Pereyra fissent les fonctions de cette charge en son absence. Il donna en même temps de l’occupation au père Gerbillon et au père Bouvet : comme il jouissait d’une paix profonde, et que tout était tranquille dans ses vastes États, soit pour se divertir, soit pour s’occuper, il prit le dessein d’apprendre les sciences de l’Europe, Il choisit lui-même l’arithmétique, les éléments d’Euclide, que le père Verbiest avait commencé à lui expliquer, la géométrie pratique, et la philosophie.