Aller au contenu

Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de sanglots, nous sommes comme des gens qui ont continuellement devant les yeux les corps morts de leurs pères et de leurs mères (c’est dans le style chinois l’expression la plus touchante). Nous aurions cent fois mieux aimé recevoir la sentence de notre mort, qu’un édit de cette nature. Croit-il, ce grand prince, qui nous a honorés jusqu’ici de son affection, que nous puissions survivre à la perte du christianisme ? Vous le savez, Seigneur, nous ne demandons ni ses richesses ni ses honneurs : c’est l’unique intérêt de notre sainte loi, qui nous a fait venir de si loin, et au travers de tant de périls, pour l’annoncer à ses peuples. Nous consacrons nos soins, nos travaux et nos veilles au désir de lui plaire ; nous lui sacrifions même notre santé et notre vie ; et cette loi, qui nous est plus chère que la vie, il la condamne ; il signe l’arrêt honteux qui la proscrit. »

L’officier rapporta à l’empereur la consternation et l’accablement de tristesse, où il avait trouvé les Pères ; et il en fit une peinture si vive, que ce bon prince en fut sensiblement touché. Il envoya chercher le prince So san, pour conférer avec lui, sur les moyens qu’on pourrait prendre pour adoucir leur douleur.

Ce prince qui aimait tendrement le père Gerbillon, remit devant les yeux de l’empereur le dévouement des pères pour sa personne, les services signalés qu’ils avaient rendus à l’État durant les guerres, et récemment dans le Traité de Nipchou ; leur application à perfectionner les sciences, et à régler le calendrier. Enfin, ce sont des gens, ajouta-t-il, qui comptent pour rien leur vie, quand il s’agit de vous plaire. Si leur loi était dangereuse, je n’aurais garde de parler en leur faveur : mais vous savez comme moi, que la doctrine qu’ils enseignent, est excellente, et très utile au gouvernement de vos peuples.

Quel remède ? répondit l’empereur : C’est une affaire conclue : mon inclination me portait à les favoriser ; mais les tribunaux s’y opposent. N’êtes-vous pas le maître ? répliqua le prince So san ; Et ne pouvez-vous pas user de votre autorité, surtout quand il s’agit de rendre justice à des gens d’un mérite si connu ? J’irai moi-même au tribunal, si Votre Majesté me le permet ; et je ne désespère pas de rendre ces mandarins plus traitables.

L’empereur se rendit à des sollicitations si pressantes, et fit écrire aux colao, ou ministres de l’empire, et aux mandarins tartares du Li pou, les paroles suivantes :

« La trente-unième année du règne de Cang hi, le second jour du deuxième mois de la lune, Yi sang ministre d’État, vous déclare les volontés de l’empereur en ces termes :

« Les Européens qui sont à ma cour, président depuis longtemps aux mathématiques. Durant les guerres civiles, ils m’ont rendu un service très important par le moyen du canon qu’ils ont fait fondre : leur prudence et leur adresse singulière, jointes à un zèle et à un travail extraordinaire, m’obligent encore à les considérer. Outre cela leur loi n’est point séditieuse, et il nous semble bon de la permettre, afin que