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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/182

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d’apporter des preuves ; le fils dès là est coupable, et le père a toujours raison. Qui peut mieux le connaître, disent-ils, que celui qui l’a élevé depuis l’âge le plus tendre ?

Il n’en est pas de même du fils ; il serait regardé comme un monstre, s’il s’avisait de se plaindre de son père, et il y a même une loi qui défend aux magistrats d’écouter l’accusation du fils contre le père. Que si sa requête était signée du grand-père, alors elle serait admise ; mais s’il y avait quelque article faux, le fils court risque de la vie. C’est au fils d’obéir, dit-on, et de prendre patience : de qui souffrira-t-il, s’il ne souffre de son père ?

Que si un enfant (ce qui n’arrive presque jamais) s’emporte jusqu’à dire des injures à son père ; ou même si transporté de fureur il vient à le frapper, ou à lui ôter la vie, un pareil crime met toute la province en alarme : on punit ses proches, et on dépose souvent les mandarins, dans la persuasion où l’on est, que ce malheureux enfant n’a pu se rendre coupable d’un si horrible attentat, que par degrés ; et qu’on aurait prévenu ce scandale, si ceux qui devaient veiller à sa conduite, eussent puni d’abord les premières fautes échappées à un si mauvais naturel. Le plus cruel supplice n’est pas capable d’expier un si grand crime : on le condamne à être coupé en mille pièces : on détruit sa maison ; et l’on dresse un monument, qui inspire de l’horreur d’une action si exécrable. Cette vénération pour les parents, ne finit point avec leur vie ; elle doit se continuer après leur mort : on n’épargne aucune dépense pour leurs obsèques : on renferme leurs corps dans des cercueils d’un bois précieux ; on conserve en quelques provinces leurs tableaux dans la maison, et en la plupart des autres, leurs tablettes ; on va pleurer régulièrement sur leurs tombeaux ; on se prosterne devant leurs corps ; on leur offre des viandes, comme s’ils étaient encore en vie, pour marquer que tous les biens de la famille leur appartiennent, et qu’on voudrait qu’ils fussent en état d’en jouir ; on honore leurs tableaux, ou leurs tablettes, par des offrandes, comme s’ils étaient encore présents ; enfin l’on doit toujours conserver leur mémoire, et donner souvent des témoignages publics de son souvenir, en leur rendant les mêmes honneurs qu’on leur rendait pendant leur vie, suivant cette grande maxime chinoise Se se ju se seng. Honorez les morts, comme vous les honoreriez s’ils étaient encore vivants.

Le deuil doit durer trois ans ; et durant tout ce temps-là on doit ne s’occuper que de sa juste douleur : quelque charge que l’on exerce, il faut l’abandonner, et vivre dans la retraite, à moins que l’empereur, pour des raisons qui intéressent le bien public, ne les dispense de cette loi, en les retirant de leur retraite, et leur ordonnant de garder le deuil, en faisant l’exercice de leur charge. Les empereurs mêmes sont assujettis à un devoir de piété si indispensable ; et ils sont obligés de donner aux peuples l’exemple de la soumission respectueuse qu’on doit aux parents.

L’esprit d’obéissance et de soumission, dans lequel les Chinois sont élevés dès l’enfance, influe extrêmement dans le gouvernement politique, et accoutume de bonne heure les peuples à avoir pour ceux qui les gouvernent,