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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/191

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Rien ne serait plus louable, que de voir des frères vivre ensemble : mais c’est ce qu’on ne peut guère espérer, lorsqu’ils sont une fois établis. Leurs familles plus ou moins nombreuses, l’amour de l’un pour la dépense, et de l’autre pour l’économie, les différentes liaisons qu’ils forment, produisent des inclinations opposées, et qu’il n’est pas possible d’assortir.

Il est encore bien plus difficile que des belles-sœurs s’accordent ensemble, principalement sur le détail du ménage, quand il se fait en commun. On pourrait prendre un tempérament : c’est que les frères ne se séparassent point d’habitation, mais qu’ils fissent séparément leur dépense. Que si, pour éviter toute occasion de mésintelligence et de tracasserie, ils ne peuvent plus habiter le même corps de logis, l’aîné doit toujours aimer ses cadets, et les cadets respecter leur aîné : cette séparation même doit servir à resserrer davantage les liens étroits du sang qui les unifient : autrement s’il survient du dehors quelque mauvaise affaire, toute la famille court risque d’y succomber.

C’est un ancien proverbe : lorsque des frères demeurent ensemble, ils doivent se supporter ; c’est le moyen de vivre avec douceur : s’ils n’ont jamais ensemble de disputes et de brouilleries, leurs enfants les imiteront ; et ce bel exemple d’union et de concorde passera jusqu’à la postérité la plus reculée. Cela mérite attention. Ce sont ordinairement les femmes qui causent la séparation des familles. Que les maris soient en garde contre les soupçons et les vains discours de leurs femmes ; alors la paix et l’union entre les frères sera constante et durable.

Cette concorde entre les frères et dans leurs familles, est une source de bonheur : le moyen de l’entretenir, c’est de savoir souffrir et dissimuler ; voir bien des choses, et se comporter comme si on ne les avait pas vues : entendre beaucoup, et faire comme il on n’avait rien entendu : on apprend par là à ne pas grossir dans son idée des bagatelles, et on s’épargne bien du chagrin, et souvent de fâcheux éclats.

Le sage Yen tse disait fort bien : que les frères sont entr’eux comme les bras et les pieds ; et que la femme est à l’égard du mari, comme un habit qu’il s’est procuré. Ce philosophe a voulu dire, que les frères étant nés de la même mère, sont une même substance, un tout, qui ne peut être incommodé dans une partie, que les autres parties ne s’en ressentent. Mais qu’arrive-t-il ? L’excès de complaisance qu’un mari a pour sa femme, produit l’indifférence, et ensuite l’aversion pour ses propres frères, et conduit enfin à la séparation.

Cependant les vues des femmes sont communément bornées ; elles se renferment dans les petits soins du ménage ; c’est de quoi elles parlent sans cesse : c’est ce qui persuade à un mari, que sa femme est affectionnée à sa maison, et capable de la bien conduire : lui-même entre insensiblement dans les vues de son épouse, et imite sa trop grande économie. Il ne faut plus après cela qu’un léger intérêt pour altérer l’amitié, et détruire l’union qui devrait régner entre les frères.

Certainement il n’y a point de loi qui ordonne à un père de laisser à son fils un héritage plus ou moins considérable. Combien même voit-on