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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/203

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hasardent une visite. Quand, par exemple, il meurt quelqu’un de la famille, ils se rendent à la maison où est le deuil, avec des habits assez mal en ordre, ou trop longs, ou trop courts : mais comme ils n’ont rien à offrir, on les voit qui se présentent à la porte d’un air embarrassé, ne sachant s’ils doivent entrer, ou s’il est plus à propos qu’ils se retirent. Enfin ils s’enhardissent, ils entrent, mais d’un pas chancelant et peu assuré : leur embarras augmente quand ils veulent faire leur compliment en présence des domestiques, qui les reçoivent d’un air glaçant. Enfin le maître de la maison paraît, mais c’est avec des manières fières et dédaigneuses : tout cela ne sert qu’à éloigner davantage de la maison ces malheureux parents, qui y ont été si mal reçus. Ceux qui sortent d’une même tige, ne devraient-ils pas se ressentir du bonheur qui se trouve dans la famille !





Comment on doit régler son cœur.


Quand on a reçu de ses parents un héritage qui suffit pour un entretien honnête, on doit le regarder comme une grande fortune, en profiter, pour s’appliquer à l’étude de la sagesse, borner ses désirs, se contenter de sa médiocrité, et mépriser tout ce qui approche du faste et de l’orgueil. Mais se consumer en soins inutiles, ne songer qu’à s’enrichir, et être continuellement occupé de sa fortune, c’est courir à sa perte. Régler son cœur, modérer ses désirs, voilà quelle doit être l’occupation d’un homme raisonnable.

Il n’y a personne à qui dans le cours de la vie il n’arrive plusieurs sujets de chagrin ; c’est même un avantage : car si tout réussissait à notre gré, un succès si constant nous aveuglerait, et nous en deviendrions plus sensibles aux revers de fortune, qui suivent de près les grandes prospérités. Celui que l’usage du monde a instruit, ne perd rien de sa tranquillité ordinaire au milieu de ces petites disgrâces.

Dans l’état d’ivresse, l’âme est comme abrutie ; elle ne pense à rien, elle ne se souvient de rien : au sortir de cet état les idées s’éclaircissent, l’esprit devient net, et juge sainement des choses comme auparavant. Il est clair que ces ténèbres et cet abrutissement viennent des fumées du vin ; et que la clarté et la justesse des idées viennent du fonds du cœur, et de sa nature même. Je dis la même chose d’une autre espèce d’ivresse non moins dangereuse : c’est celle des passions qui aveuglent l’esprit, et troublent la raison de ceux qui en sont les esclaves.

Le remède contre cette seconde ivresse, consiste en ces deux mots ke ki, vainquez-vous. Qu’on entende dire du bien de quelqu’un, on en doute : qu’on en entende dire du mal, on le croit. Celui qui s’est accoutumé à parler des défauts d’autrui, ne fait nulle attention à ses vertus.