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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/204

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Des gens de ce caractère, si on les examine, sont eux-mêmes pleins de vices, et vides de vertus.

L’oreille fine et l’œil vif, c’est ce que l’homme a de plus précieux : si je ne m’en sers que pour rechercher et remarquer les défauts des autres, et jamais pour me connaître et m’observer moi-même, c’est comme si je n’employais mon trésor et mes richesses qu’en faveur des étrangers. Peut-on ne pas gémir sur un tel abus ?

Celui qui dans l’état de pauvreté où il se trouve, voit les riches et les heureux du siècle, sans être frappé ni ébloui par la pompe et les dehors brillants de leur fortune, s’il parvient dans la suite aux charges et aux dignités, ne s’enorgueillira pas de sa grandeur. Celui qui au milieu des honneurs et de l’abondance, ne détourne pas ses yeux des personnes qui sont dans l’indigence, s’il vient à déchoir de sa haute fortune, en sera moins frappé, et n’éclatera pas en murmures.

Se vaincre soi-même, c’est le moyen de n’être pas vaincu par les autres. Se maîtriser soi-même, c’est le moyen de n’être pas maîtrisé par d’autres. Lorsque j’ai une bonne pensée, c’est un bon esprit qui me l’inspire. Quand il m’en vient une mauvaise, c’est un esprit malin qui me la suggère. Craignons toute idée mauvaise, quand même nous serions fort éloignés de la mettre en exécution : c’est toujours une méchante semence qui occupe une bonne terre.

Commencez par retrancher les recherches de l’amour propre ; ensuite vous pourrez travailler au bien public : réglez d’abord vos vues et vos désirs ; après quoi il vous sera permis de prêter l’oreille aux discours des hommes.

Il est assez ordinaire de voir des gens qui étant prêts de mourir, s’affligent dans la crainte où ils sont, que leurs enfants ou leurs petits-fils ne tombent un jour dans la pauvreté : et c’est eux-mêmes qui, par leur avarice, par leur cupidité, et par leurs injustices, ont porté des coups mortels à la fortune de leurs enfants : après leur avoir préparé ces malheurs, qui sont le châtiment de leurs désordres, ils s’avisent à la mort de gémir, dans l’appréhension qu’ils ne leur arrivent ; ils les rendent malheureux, et puis ils pleurent sur leur infortune : quelle étrange bizarrerie de conduite !

Il s’en trouve qui se disent à eux-mêmes : J’examine toutes mes actions, je vois que j’ai toujours suivi la droite raison, que j’ai pratiqué la vertu, que j’ai imité les actions si vantées de nos premiers sages ; ne serait-il pas juste que la prospérité et les richesses vinssent fondre dans ma maison ? Cependant je remarque qu’elle dépérit tous les jours. D’où ce malheur peut-il venir ? Je vous en dirai la vraie raison : c’est que votre cœur n’est pas aussi réglé que vous vous le figurez. Vous devriez vous dire : à la vérité je ne fais point d’injustices ; mais je suis toujours plein d’estime de moi-même, et de mépris pour les autres : je n’ai point à me reprocher des actions dures et inhumaines : mais souvent j’ai nourri en secret des désirs de nuire aux autres. Examinez-vous bien, et vous verrez que si vous n’avez pas fait beaucoup de mal, c’est que les moyens