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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/211

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Du procédé de l’honnête homme.


Le laboureur attend la récolte de l’automne, pour juger si l’année est fertile. De même pour faire l’éloge d’un homme, suivez-le dans toute sa conduite, et voyez si elle ne se dément pas : c’est avec le temps qu’il fera connaître ce qu’il est véritablement au fonds du cœur.

Tel vous comble de caresses, et c’est un fourbe qui cherche à vous tromper ; si vous vous y laissez surprendre, vous tomberez dans les pièges qu’il vous tend. Tel autre se mêle de faire tous les accommodements d’une ville ; ce dehors a je ne sais quoi de spécieux : mais attachez-vous à pénétrer son caractère, et vous découvrirez que c’est un insigne fripon, qui ne cherche que ses propres intérêts.

Si je suis véritablement vertueux, quand je ne serais qu’un très pauvre lettré, ma vertu m’attirera de l’estime, et servira de modèle aux autres. Mais au contraire, si je suis un méchant homme, j’ai beau occuper les premières charges, ma conduite fera toujours censurée, et je deviendrai un objet de mépris pour tous les honnêtes gens.

Lorsqu’il s’agit de concerter avec quelqu’un une entreprise, examinez bien ses talents et sa capacité. Lorsqu’on fréquente les maisons des Grands, si l’on y fait le métier de flatteur, il faut avoir recours aux bassesses les plus indignes ; si l’on a l’âme noble, fière, on n’y gagne rien : ne vaut-il pas mieux s’en éloigner doucement, et sans bruit ?

Un homme rempli de grandes idées sur les richesses et sur les honneurs, fût-il un sage, ne se défendra pas longtemps de la corruption du siècle. Un homme entêté des rêveries qui se débitent par les sectateurs de Fo et de Tao, fût-il un bel esprit, ne se préservera pas d’un petit grain de folie, qui le rendra ridicule. Un homme attaché à son sens, fût-il d’un naturel bon et affable, deviendra capable d’une action violente. Un homme qui aime la gloire, fût-il de son fonds modeste et retenu, ne manquera pas de passer pour vain et orgueilleux. Un savant enivré de sa science, fût-il franc et sincère, se rendra incapable d’entrer dans la moindre affaire.

Quand on a à cœur d’être et de paraître sincère, on nomme chaque chose par son nom ; on appelle grand ce qui est grand, et petit ce qui est petit. Si au contraire on trouve du goût à exagérer et à mentir, on le fait d’abord dans des choses légères et de nulle conséquence ; et peu à peu on se forme l’habitude de ne jamais dire la vérité ; après quoi l’on passe pour un menteur de profession.

Quelqu’un m’a confié en dépôt un certain nombre de taëls[1] ;

  1. Un Taël est un mot portugais, qui signifie une once d'argent, qui vaut cent sols de notre monnaie.