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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/336

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La peine, le plaisir, la joie, la tristesse n’ont point de demeure fixe et constante où elles se puissent toujours trouver. Tel ne se tenait pas de joie, quand il fut fait sieou tsai[1], qui ayant depuis passé par tous les autres degrés, et se trouvant président d’un grand tribunal, meurt de chagrin de ne pas monter plus haut.

Ce qu’on appelle bonheur ou malheur, n’a point de figure bien déterminée, par où l’on puisse à coup sûr les distinguer. Tel qui n’avait guère que son cheval, le perdit, et croyait tout perdre ; cela même fit sa fortune. Tel autre, riche en troupeaux, s’en promettait un gros gain ; ils furent cause de sa ruine.

Vous êtes dans un état qui vous paraît insupportable ; vous n’y trouvez que peine et que douleur. Vous aspirez à cet autre, et vous vous y promettez de la satisfaction, de la joie, et du plaisir. Peut-être en sentirez-vous un peu dans ce changement, s’il se fait. Mais le changement étant fait, le plaisir cesse, et ce nouvel état ne vous donnant point ce que vous vous en étiez promis, vous y retrouvez vos premiers chagrins, et peut-être de plus sensibles. Aussitôt le désir vous prend de tenter un changement tout nouveau, dont vous vous flattez d’être plus content. C’est en vérité l’entendre mal[2].

Mais puisque je vous vois si peu capable de pénétrer dans les grands principes, écoutez du moins, pour en profiter, cet apologue vulgaire. Je suis monté sur un méchant âne, et je vois devant moi quelqu’un qui est monté sur un bon cheval ; je me plains, et je m’afflige. Je tourne la tête ; je vois derrière moi grand nombre de gens à pied, chargés de lourds fardeaux : mes plaintes cessent, et je me console.

Le tyran Tcheou, plongé jour et nuit dans les plaisirs, oublia dans l’espace d’une semaine, où il en était du calendrier. Questionnant sur cela un de ses gens, ni lui ni aucun autre ne purent le lui dire. Il ordonna qu’on consultât Ki tse[3]. Celui-ci ayant eu avis de l’ordre donné, dit à son confident ce qui suit : Le désordre étant si grand, qu’on ne sait pas même à quel jour on vit, l’empire est perdu, il n’y a plus de remède ; et ce serait me perdre moi-même, que de paraître savoir ce que tout l’empire ignore. Quand on viendra me consulter, répondez que je suis ivre.

La dent de l’éléphant, qui est l’ivoire, est justement ce qui fait qu’on chasse et tue cet animal. La perle est cause qu’on ouvre les nacres, et que les huîtres périssent. On tend des filets à l’oiseau tsou ; c’est à cause de la beauté de ses ailes. Le talent qu’a le perroquet de pouvoir parler, est ce qui l’enchaîne et le met en cage. Si on recherche les tortues, c’est principalement pour leurs écailles. On laisserait en repos l’animal ché[4], s’il ne donnait pas le musc. Il n’est pas jusqu’aux ouvrages de l’art, qui se détruisent assez souvent par ce qu’ils ont de meilleur.

  1. C'est le moindre degré de littérature et de noblesse.
  2. Allusion à deux traits d'Histoire.
  3. C'est le nom d'un prince du sang, dont le Chou king loue la sagesse et la vertu.
  4. Le musc animal.