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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/394

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je prenais un peu de repos, lorsque tout à coup vint à passer un mandarin avec tout son cortège : je m’éloigne de son chemin, de crainte d’insulte, et j’oublie de reprendre mon argent. Ce ne fut qu'à la couchée, qu’en quittant mes habits, je m’aperçus de la perte que j’avais faite. Je vis bien que le lieu où j’avais perdu mon argent, étant aussi fréquenté qu’il l’est, ce serait en vain que je retarderais mon voyage de quelques journées, pour aller chercher ce que je ne trouverais certainement pas.

Chacun le plaignit. Liu lui demanda aussitôt son nom et le lieu de sa demeure. Votre serviteur, lui répondit le marchand, s’appelle Tchin, et demeure à Yang tcheou, où il a sa boutique, et un assez bon magasin. Mais oserais-je à mon tour vous demander à qui j’ai l’honneur de parler ? Liu se nomma, et dit qu’il était habitant de la ville de Vou si : Le chemin le plus droit pour m’y rendre, ajouta-t-il, me conduit à Yang tcheou : si vous l’agréez, j’aurai le plaisir de vous accompagner jusque dans votre maison.

Tchin répondit comme il devait à cette politesse. Très volontiers, lui dit-il, nous irons de compagnie : je m’estime très heureux d’en trouver une si agréable. Le jour suivant ils partent ensemble de grand matin. Le voyage ne fut pas long, et ils se rendirent bientôt à Yang tcheou.

Après les civilités ordinaires, Tchin invita son compagnon de voyage à entrer dans sa maison, et y fit servir une petite collation. Alors Lin fit tomber la conversation sur l’argent perdu à Tchin lieou. De quelle couleur, dit-il, était la ceinture où vous aviez serré votre argent, et comment était-elle faite ? Elle était de toile bleue, répondit Tchin. Ce qui la rendait bien reconnaissable, c’est qu’à un bout la lettre Tchin, qui est mon nom, y était tracée en broderie de soie blanche.

Cet éclaircissement ne laissait plus aucun doute. Aussi Liu s’écria-t-il d’un air épanoui : Si je vous ai fait ces questions, c’est que passant par Tchin lieou, j’y ai trouvé une ceinture telle que vous venez de la dépeindre. Il la tire en même temps : Voyez, dit-il, si c'est la vôtre ? C’est elle-même, dit Tchin. Sur quoi Liu, la tenant encore entre les mains, la remit avec respect à son vrai maître.

Tchin plein de reconnaissance, le pressa fort d’accepter la moitié de la somme dont il lui faisait présent : mais ses instances furent inutiles ; Liu ne voulut rien recevoir. Quelles obligations ne vous ai-je pas, reprit Tchin. Où trouver une fidélité et une générosité pareille ? Il fait servir aussitôt un grand repas, en s’invitant l’un l’autre à boire avec les plus grandes démonstrations d’amitié.

Tchin disait en lui-même : où trouver aujourd’hui un homme de la probité de Liu ? Des gens de ce caractère sont bien rares. Mais quoi ! j’aurais reçu de lui un si grand bienfait, et je n’aurais pas le moyen de le reconnaître ! J’ai une fille qui a douze ans ; il faut qu’une alliance m’unisse avec un si honnête homme. Mais a-t-il un fils ? C’est ce que j’ignore. Cher ami, lui dit-il, quel âge a présentement votre fils ?

À cette demande les larmes coulèrent des yeux de Liu. Hélas ! répondit-il,