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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/396

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Enfin Liu n’étant plus le maître de retenir plus longtemps les agitations de son cœur, rompit tout à coup le silence, et demanda à Tchin, si c’était là véritablement son fils. Ce n’est point de moi, répondit Tchin, qu’il a reçu la vie, quoique je le regarde comme mon propre fils. Il y a sept ans qu’un homme qui passait par cette ville, menant cet enfant par la main, s’adressa par hasard à moi, et me pria de l’assister dans son besoin extrême. Ma femme, dit-il, est morte, et ne m’a laissé que cet enfant. Le mauvais état de mes affaires m’a obligé de quitter pour un temps mon pays, et de me retirer à Hoai ngan, chez un de mes parents, de qui j’espère une somme d’argent qui aide à me rétablir. Je n’ai pas de quoi continuer mon voyage jusqu’à cette ville, auriez-vous la charité de m’avancer trois taëls ? Je vous les rendrai fidèlement à mon retour, et pour gage de ma parole, je laisse ici en dépôt ce que j’ai au monde de plus cher, c’est-à-dire, mon fils unique. Je ne serai pas plus tôt à Hoai ngan, que je reviendrai retirer ce cher enfant.

Cette confidence me toucha, et je lui mis en main la somme qu’il me demandait pour lui. En me quittant il fondait en larmes, témoignant qu’il se séparait de son fils avec un extrême regret. Ce qui me surprit, c’est que l’enfant ne parût nullement ému de cette séparation ; mais ne voyant point revenir son prétendu père, j’eus des soupçons dont je voulus m’éclaircir. J’appelai l’enfant ; et par les différentes questions que je lui fis, j’appris qu’il était né dans la ville de Vou si ; qu’un jour voyant passer une procession dans sa rue, il s’était un peu trop écarté, et qu’il avait été trompé et enlevé par un inconnu. Il me dit aussi le nom de son père et de sa mère : or ce nom de famille est le vôtre. Je compris aussitôt que ce pauvre enfant avait été enlevé et vendu par quelque fripon ; j’en eus compassion, et il sut entièrement gagner mon cœur : je le traitai dès lors comme mon propre fils. Bien des fois j’ai eu la pensée de faire un voyage exprès jusqu’à Vou si, pour m’informer de sa famille. Mais il m’est toujours survenu quelque affaire qui m’a fait différer un voyage auquel je n’avais pas tout à fait renoncé. Heureusement il n’y a que quelques moments que par occasion vous m’avez parlé de ce fils. Certains mots jetés par hasard ont réveillé mes idées. Sur le rapport merveilleux de ce que je savais avec ce que vous me disiez, j’ai fait venir l’enfant, pour voir si vous le reconnaîtriez.

À ces mots Hi eul se mit à pleurer de joie, et ses larmes en firent aussitôt couler d’abondantes des yeux de Liu. Un indice assez singulier, dit-il, le fera reconnaître : il a un peu au-dessus du genou une marque noire, qui est l’effet d’une envie de sa mère, lorsqu’elle était enceinte. Hi eul aussitôt relève le bas de son haut de chausse, et montre au-dessus du genou la marque dont il s’agissait. Liu la voyant, se jette au col de l’enfant, l’embrasse, l’élève entre ses bras. Mon fils, s’écria-t-il, mon cher fils, quel bonheur pour ton vrai père de te retrouver après une si longue absence !