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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/402

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très sincère. C’est par cette ancienne amitié que je vous conjure de m’avouer franchement si mon beau-frère persiste encore dans son ancien, dessein de me forcer à un mariage qui tournerait à ma confusion.

A ce récit Yang parût d’abord interdite, et rougit ; puis prenant une contenance plus assurée : A quoi pensez-vous, ma sœur, lui dit-elle, et quelles imaginations vous mettez-vous dans l’esprit ? S’il était question de vous remarier, croyez-vous qu’on y fût fort embarrassé ? Hé ! à quoi bon se jeter soi-même à l’eau, avant que la barque soit prête à faire naufrage ?

Dès que la dame Ouang eût entendu ce proverbe tiré de la barque, elle comprit encore mieux le sens de l’entretien secret de son beau-frère. Aussitôt elle éclata en plaintes et en soupirs ; et se livrant à toute sa douleur, elle se renferme dans sa chambre, où elle pleure, elle gémit, elle se lamente : Que je suis malheureuse ; s’écrie-t-elle, je ne sais ce qu’est devenu mon mari. Liu tchin, mon beau-frère et mon ami, sur qui je pouvais compter, est en voyage. Mon père, ma mère, mes parents sont éloignés de ce pays. Si cette affaire se précipite, comment pourrai-je leur en donner avis ? Je n’ai aucun secours à attendre de nos voisins. Liu pao s’est rendu redoutable à tout le quartier, et l’on sait qu’il est capable des plus grandes noirceurs. Infortunée que je suis ! Je ne saurais échapper à ses pièges : si je n’y tombe pas aujourd’hui, ce sera demain, ou dans fort peu de temps. Tout bien considéré, finissons cette trop pénible vie ; mourons une bonne fois, cela vaut mieux que de souffrir mille et mille morts ; et qu’est-ce que ma vie ? sinon une mort continuelle ?

Elle prit ainsi sa résolution ; mais elle en différa l’exécution jusqu’au soir. Aussitôt que le ciel disparut de l’horizon, et qu’une nuit obscure prit sa place, elle se retire dans sa chambre, et s’y enferme ; puis prenant une corde, elle l’attache à la poutre par un bout, et à l’autre bout elle fait un nœud coulant : elle approche un banc, monte dessus, ajuste modestement ses habits par le bas autour des pieds ; ensuite elle s’écrie : « Suprême Tien, vengez-moi. » Après ces mots, et quelques soupirs qui lui échappèrent, elle jette sa coiffure, et passe la tête et le col dans le nœud coulant. Enfin du pied elle renverse le banc, et demeure suspendue en l’air.

C’en était fait, ce semble, de cette malheureuse dame. Il arriva néanmoins que la corde dont elle s’était servi, quoique grosse et de chanvre, se rompit tout à coup. Elle tombe à terre à demi-morte : sa chute, et la violence dont elle s’agitait, firent un grand bruit.

La dame Yang accourut à ce bruit, et trouvant la porte bien barricadée, elle se douta que c’était là un stratagème d’un esprit à demi troublé. Elle saisit aussitôt une barre, et enfonce la porte. Comme la nuit était très obscure, en entrant dans la chambre, elle s’embarrassa les pieds dans les habits de la dame Ouang, et tombe à la renverse. Cette chute fit sauter sa coiffure bien loin ; et l’effroi dont elle fût saisie, lui causa un évanouissement de quelques moments. Aussitôt qu’elle eût repris ses sens, elle se lève, va chercher une lampe, et revient dans la chambre, où elle trouve la dame Ouang étendue