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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/401

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il rencontra un marchand du Kiang si qui venait de perdre sa femme, et qui en cherchait une autre. Liu pao saisit l’occasion, et lui proposa sa belle-sœur. Le marchand accepte la proposition, prenant néanmoins la précaution de s’informer secrètement, si celle qu’on lui proposait était jeune et bien faite. Aussitôt qu’il en fût assuré, il ne perdit point de temps, et livra trente taëls pour conclure l’affaire.

Liu pao ayant reçu cette somme : Je dois vous avertir, dit-il au marchand, que ma belle-sœur est fière, hautaine, et extrêmement formaliste : elle fera bien des difficultés, quand il s’agira de quitter la maison, et vous aurez beaucoup de peine à l’y résoudre. Voici donc ce que vous devez faire. Ce soir à l’entrée de la nuit, ayez une chaise, ornée selon la coutume, et de bons porteurs : venez à petit bruit, et présentez-vous à notre porte. La demoiselle qui paraîtra avec une coiffure de deuil, c’est ma belle-sœur, ne lui dites mot, et n’écoutez point ce qu’elle voudrait vous dire : mais saisissez-la tout à coup par le milieu du corps ; jetez-la dans la chaise, conduisez-la au plus tôt sur votre barque, et mettez à la voile. Cet expédient plut fort au marchand, et l’exécution lui parût aisée.

Cependant Liu pao retourne à la maison ; et afin que sa belle-sœur ne pressentît rien du projet qu’il avait formé, il sut se contrefaire en sa présence : mais dès qu’elle se fût retirée, il fit confidence à sa femme de son dessein, et en désignant sa belle-sœur d’un geste méprisant : Il faut, dit-il, que cette marchandise à deux pieds sorte cette nuit de notre maison ; c’est de quoi je me mets peu en peine. Je ne veux pas néanmoins me trouver à cette scène ; ainsi je vais sortir pour quelques moments ; mais il est bon que tu saches que vers l’entrée de la nuit des gens bien accompagnés viendront à notre porte, et l’enlèveront dans une chaise bien fermée.

Il allait poursuivre, lorsqu’il fut tout à coup arrêté par le bruit qu’il entendit. C’était sa belle-sœur qui passait près de la fenêtre de la chambre. Alors Liu pao se hâta de sortir par une autre porte ; et la précipitation avec laquelle il se retira, ne lui permit pas d’ajouter la circonstance de la coiffure de deuil. Ce fut sans doute par une providence toute particulière du Ciel, que cette circonstance fut omise.

Ouang s’aperçut aisément que le bruit qu’elle avait fait près de la fenêtre, avait obligé Liu pao à rompre brusquement la conversation. Son ton de voix marquait assez qu’il avait encore quelque chose de plus à dire : mais elle en avait assez entendu ; car ayant reconnu à son air, lorsqu’il entra dans la maison, qu’il avait quelque secret à communiquer à sa femme, elle avait fait semblant de se retirer ; et prêtant secrètement l’oreille à la fenêtre, elle avait ouï distinctement ces mots : On l’enlèvera ; on la mettra dans une chaise.

Ces paroles fortifièrent étrangement ses soupçons. Elle entre dans la chambre ; et s’approchant de Yang, lui déclara d’abord ses inquiétudes : Ma belle-sœur, lui dit-elle, vous voyez une veuve infortunée, qui vous est liée par les nœuds les plus étroits d’une amitié qui fut toujours