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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/422

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crainte d’être encore plus cruellement traité, il n’hésita pas à avouer tout de ce qu’on voulut. Le mandarin ayant écrit la déposition.

Quoiqu’il ne soit plus douteux, dit-il, que tu mérites la mort, cependant comme on ne voit point de parent du mort qui vienne demander justice, rien ne presse d’en venir à l’exécution. Attendons qu’il vienne quelqu’un qui reconnaisse le mort pour son parent ; alors je déterminerai le genre de supplice dont tu dois être puni.

Ouang fut donc conduit dans un cachot, et le squelette enterré derechef dans l’endroit d’où il avait été tiré, avec défense de le brûler, afin qu’il pût être représenté et livré aux parents lorsqu’ils viendraient à paraître.

L’audience finie, le mandarin rentra dans son hôtel. Hou le Tigre se retira bien content du succès qu’avait eu son accusation, et s’applaudissant de la bastonnade qu’il avait vu donner à son maître. D’autres esclaves de Ouang qui avaient été envoyés à l’audience par la dame son épouse, lui rapportèrent tout ce qui s’y était passé.

À cette nouvelle elle tomba évanouie, et elle demeura longtemps dans cet état, comme si ses trois âmes l’eussent abandonnée ; puis étant un peu revenue à elle-même, elle fit retentir tout le quartier de cris et de lamentations, qui furent suivis d’une nouvelle pâmoison, encore plus violente. Enfin au moyen du prompt secours que lui donnèrent ses suivantes, elle reprit insensiblement connaissance. Mon cher mari ! s’écria-t-elle ; elle ne pût proférer d’autres paroles. Les cris et les sanglots recommencèrent, et durèrent plus de deux heures.

Ces grands accès de douleur étant passés, elle amasse quelque argent, et change d’habit : puis elle ordonne à une de ses esclaves de la suivre, et à une autre de marcher devant elle. Elle traverse ainsi la ville, et va se présenter à la porte de la prison publique. Dès que le mari et la femme s’aperçurent, ils parurent interdits, jusqu’à ne pouvoir se parler.

Enfin Ouang reprit ses esprits, et d’une voix entrecoupée de sanglots : « Ma chère épouse, dit-il, c’est Hou le Tigre, cet esclave dénaturé, qui m’a précipité dans cet abîme de malheurs. » La dame Lieou éclata sur l’heure en imprécations contre ce malheureux : puis elle tire l’argent qu’elle avait apporté, et le remit à son mari. Voici, dit-elle, de quoi distribuer au geôlier et à vos gardes, afin qu’ils vous traitent avec douceur. La nuit les obligea de se séparer.

La dame Lieou se retira accablée de tristesse, et le cœur pénétré de la plus vive douleur. Ouang ne manqua pas de faire ses libéralités au geôlier et aux gardes, et par là il fut exempt des coups de fouet et de bâton, qui pleuvent d’ordinaire sur les prisonniers. Mais il avait infiniment à souffrir de la compagnie d’une foule de scélérats, au milieu desquels il se trouvait, et de l’inquiétude où il était de finir ses jours par une mort honteuse et cruelle.