Aller au contenu

Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/421

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que j’ai dit vrai : si on ne les y trouve pas, je suis un calomniateur, et je consens qu’on me punisse selon toute la rigueur des lois.

Ce fut en effet le parti que prit le mandarin. Des huissiers par son ordre se transportèrent sur les lieux, conduits par l’esclave, qui marqua précisément l’endroit où l’on trouverait le cadavre : on le déterra ; ce n’était plus qu’un squelette, qui fut porté sur un brancard à l’audience. Le mandarin se levant de son siège, et considérant le cadavre : Le crime est avéré, dit il. Ouang allait être appliqué à la question, lorsqu’il supplia qu’on voulut bien l’écouter un moment. Ce squelette, dit-il, dont les chairs sont desséchées et pourries, fait assez voir que ce n’est pas un homme tué tout récemment. Si donc j’ai été coupable de ce meurtre, pourquoi mon accusateur a-t-il attendu jusqu’à ce jour à me déférer ? N'est-il pas plus naturel de penser que Hou le Tigre est allé chercher, je ne sais où, ce squelette pour hasarder cette calomnie, et m’écraser, s’il pouvait, comme d’un coup de foudre ?

La réponse est assez bonne, dit le mandarin. Mais Hou le Tigre répliqua aussitôt : Il est vrai, c’est ici le corps d’un homme tué il y a un an. L’attachement d’un esclave pour son maître le retient, et il lui coûte infiniment de faire le personnage d’accusateur. J’avoue que j’ai eu de la connivence, ne pouvant me résoudre à faire de la peine à un maître que j’affectionnais. J’espérais qu’avec le temps il corrigerait son naturel bouillant et emporté : mais comme il devenait de jour en jour plus brutal, j’ai appréhendé qu’il ne fît encore quelque mauvais coup qui m’entraînât avec lui dans le précipice : c’est ce qui me fait prendre le parti de le déférer enfin au tribunal, quoique j’eusse dû le faire plus tôt. Mais si l’on a encore quelque difficulté sur ma déposition, qu’on fasse venir les voisins, et qu’on les interroge. Il n’y a aucun d’eux qui ne déclare que l’année dernière à tel mois et tel jour Ouang a effectivement tué un homme. C’est là une voie sûre pour découvrir qui de nous deux a dit la vérité.

Il a raison, dit le mandarin : qu’on fasse venir au plus tôt les voisins de Ouang. Ils arrivèrent, et aussitôt on leur demanda ce qu’ils savaient du meurtre en question. Il est vrai, répondirent-ils, que l’an passé à tel mois et à tel jour, Ouang battit violemment un marchand de gingembre : on le crut mort pendant quelque temps ; mais enfin on le fit revenir, et nous ne savons pas ce qui lui est arrivé dans la suite. À ce témoignage des voisins, Ouang pâlit d’une manière sensible, et ne fit plus que se contredire, et se couper dans ses réponses.

Il n’y a plus de nouvelles questions à faire, dit le mandarin, vous êtes convaincu de ce meurtre ; mais vous ne l’avouerez jamais, si l’on n’emploie les voies de rigueur. Il commande en même temps qu’on lui donnât la bastonnade.

Aussitôt deux des estafiers du tribunal poussant un grand cri pour marquer leur promptitude à obéir, saisissent le lettré, l'étendent par terre, et lui déchargent de toutes leurs forces vingt coups de bâton. C’en était déjà trop pour un lettré d’une complexion faible et délicate. Dans la