Aller au contenu

Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature de son mal. Ouang sun souffrait trop pour répondre. On eût dit qu’il était prêt d’expirer.

Son vieux domestique accourant au bruit, le prend entre ses bras, et l’agite. Mon cher Ouang sun, s’écria la dame, a-t-il déjà éprouvé de semblables accidents ? Cette maladie l’a déjà pris plusieurs fois, répondit le valet ; il n’y a guère d’année qu’il n’en soit attaqué. Un seul remède est capable de le sauver. Dis-moi vite, s’écria la nouvelle épouse, quel est ce remède ? Le médecin de la famille royale, continua le valet, a trouvé ce secret, qui est infaillible. Il faut prendre de la cervelle d’un homme nouvellement tué, et lui en faire avaler dans du vin chaud ; aussitôt les convulsions cessent ; et il est sur pied. La première fois que ce mal le prit, le roi son parent ordonna qu’on fît mourir un prisonnier qui méritait la mort, et qu’on prît de sa cervelle : il fut guéri à l’instant. Mais hélas ! où en trouver maintenant ?

Mais, reprit la dame, est-ce que la cervelle d’un homme qui meurt de sa mort naturelle, n’aurait pas un bon effet ? Notre médecin, reprit le vieux domestique, nous avertit qu’au besoin on pourrait absolument se servir de la cervelle d’un mort, pourvu qu’il n’y eut pas trop longtemps qu’il eût expiré, parce que la cervelle n’étant pas encore desséchée, conserve sa vertu.

Hé ! s’écria la dame, il n’y a qu’à ouvrir le cercueil de mon mari, et y prendre un remède si salutaire. J’y avais bien pensé, répliqua le valet ; je n’osais vous le proposer, et je craignais que cette seule pensée ne vous fît horreur. — Bon, répondit-elle, Ouang sun n’est-il pas à présent mon mari : s’il fallait de mon sang pour le guérir, est-ce que j’y aurais regret ? Et j’hésiterais par respect pour un vil cadavre ?

Sur le champ elle laisse Ouang sun entre les bras du vieux domestique et elle prend d’une main la hache destinée à fendre le bois de chauffage, et la lampe de l’autre : elle court avec précipitation vers la masure où était le cercueil : elle retrousse ses longues manches, empoigne la hache des deux mains, la hausse, et de toutes ses forces en décharge un grand coup sur le couvercle du cercueil, et le fend en deux.

La force d’une femme n’aurait pas été suffisante pour un cercueil ordinaire. Mais Tchouang tse, par un excès de précaution et d’amour pour la vie, avait ordonné que les planches de son cercueil fussent très minces, sur ce qu’il avait ouï dire que des morts étaient revenus de certains accidents qu’on croyait être mortels.

Ainsi du premier coup la planche fut fendue : quelques autres coups achevèrent d’enlever le couvercle. Comme ce mouvement extraordinaire l’avait essoufflée, elle s’arrêta un moment pour prendre haleine. Au même instant elle entend pousser un grand soupir ; et jetant les yeux sur le cercueil, elle voit que son premier mari se remue, et se met à son séant.

On peut juger quelle fut la surprise de la dame Tien. La frayeur subite dont elle fut saisie, lui fit pousser un grand cri : ses genoux se dérobent sous elle ; et dans le trouble où elle se trouve, la hache lui tombe des mains sans qu’elle s’en aperçoive.