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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/48

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de leurs amis de leur acheter une grande feuille imprimée, et marquée à un certain coin par les bonzes. Au milieu de la feuille est la figure du Dieu Fo. Sur l’habit de Fo, et tout autour de sa figure sont une infinité de petits cercles. Les dévots, et les dévotes au Dieu Fo, ont pendu au col, ou autour du bras une sorte de chapelet, composé de cent grains médiocres, et de huit plus gros ; à la tête se trouve un gros grain de la figure de ces petites tabatières faites en forme de calebasse. C’est en roulant ces grains entre leurs doigts, qu’ils prononcent ces paroles mystérieuses O mi to fo, auxquelles eux-mêmes ne comprennent rien. Ils font de plus cent génuflexions ; après quoi ils marquent d’un trait rouge un de ces cercles, dont la figure est toute couverte.

De temps en temps on invite les bonzes à venir à la maison pour y faire des prières, et pour sceller et authentiquer le nombre des cercles qui en ont été remplis. On les porte en pompe aux funérailles dans un petit coffre bien scellé par les bonzes : c’est ce qu’ils appellent lou in, c’est-à-dire, passeport pour le voyage de cette vie en l’autre. Ce passeport ne s’accorde point, qu’il n’en coûte quelques taëls : mais, disent-ils, on ne doit point plaindre cette dépense, puisqu’on est assuré d’un voyage heureux.

Parmi ces temples de faux dieux, on en voit plusieurs de célèbres par la beauté et la grandeur des bâtiments, et par les figures bizarres des idoles. Il y en a de si monstrueuses, que les pauvres Chinois en les voyant, se prosternent quelquefois incontinent à terre, et la battent du front à plusieurs reprises, tant ils sont saisis de frayeur.

Comme ces bonzes n’ont d’autre vue que d’amasser de l’argent, et que d’ailleurs, quelque réputation qu’ils se soient faite, ils ne sont qu’un amas de la canaille de l’empire, ils savent à merveille l’art de ramper devant tout le monde. Ils affectent une douceur, une complaisance, une humilité, et une modestie, qui éblouit d’abord. Les Chinois, qui ne pénètrent pas plus avant, les prennent pour autant de saints ; surtout lorsqu’à cet extérieur ils joignent un jeûne rigoureux, qu’ils se relèvent plusieurs fois la nuit pour adorer Fo, et qu’ils paraissent se sacrifier en quelque sorte pour le bien public.

Dans le dessein de se faire un mérite auprès des peuples, et de s’attirer une compassion qui excite leurs libéralités, ils se donnent en spectacle par de rudes pénitences qu’ils font dans les rues, et au milieu des places publiques. Il y en a à qui on a attaché au col et aux pieds de grosses chaînes longues de plus de trente pieds, qu’ils traînent dans les rues avec beaucoup de peine. Ils s’arrêtent aux portes de chaque maison. Vous voyez, disent-ils, ce qu’il nous en coûte pour expier vos fautes ; pouvez-vous ne pas nous accorder quelque légère aumône ?

On en voit d’autres dans les carrefours et dans les lieux les plus fréquentés, qui se mettent en sang, en se frappant la tête de toute leur force avec une grosse pierre. Mais parmi ces sortes de pénitences, il n’y en a guère de plus surprenante que celle d’un jeune bonze, dont le père le Comte fut témoin. Voici comme il la rapporte.

« Je rencontrai un jour au milieu d’un village un jeune bonze débonnaire,