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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/49

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doux, modeste, et tout propre à demander l’aumône, et à l’obtenir. Il était debout dans une chaise bien fermée, et hérissée en dedans de longues pointes de clous fort pressés les uns auprès des autres, de manière qu’il ne lui était pas permis de s’appuyer sans se blesser. Deux hommes gagés le portaient fort lentement dans les maisons, où il priait les gens d’avoir compassion de lui.

« Je me suis, disait-il, enfermé dans cette chaise pour le bien de vos âmes, résolu de n’en sortir jamais, jusqu’à ce que l’on ait acheté tous ces clous (il y en avait plus de deux mille)  ; chaque clou vaut dix sols ; mais il n’y en a aucun qui ne soit une source de bénédictions dans vos maisons. Si vous en achetez, vous pratiquerez un acte de vertu héroïque, et ce sera une aumône que vous donnerez, non aux bonzes, à qui vous pouvez d’ailleurs faire vos charités, mais au Dieu Fo, à l’honneur duquel nous bâtissons un temple.

« Je passais alors par ce chemin : ce bonze me vit, et me fit, comme aux autres, le même compliment. Je lui dis qu’il était bien malheureux de se tourmenter ainsi inutilement en ce monde ; et je lui conseillai de sortir de sa prison, pour aller au temple du vrai Dieu se faire instruire des vérités célestes, et se soumettre à une pénitence moins rude et plus salutaire.

« Il me répondit avec beaucoup de douceur et de sang froid, qu’il m’était bien obligé de mes avis ; mais qu’il me le serait encore davantage, si je voulais acheter une douzaine de ces clous, qui me porteraient assurément bonheur dans mon voyage.

« Tenez, dit-il, en se tournant d’un côté, prenez ceux-ci ; foi de bonze, ce sont les meilleurs de ma chaise, parce qu’ils m’incommodent plus que les autres, cependant ils sont tous de même prix. Il proféra ces paroles d’un air, et avec une action, qui en toute autre occasion m’aurait fait rire ; mais pour lors son aveuglement me faisait pitié, et je fus pénétré de douleur à la vue de ce misérable captif du démon, qui souffrait plus pour se perdre, qu’un chrétien n’est obligé de souffrir pour se sauver. »

C’est le même motif de se procurer des aumônes, qui porte les bonzes à se transporter à l’instant dans toutes les maisons, où on les appelle, chez le pauvre comme chez le riche Ils y vont en tel nombre qu’on le souhaite ; ils y demeurent tant qu’on veut ; et quand il y a quelque assemblée de femmes, ce qui est rare, et ne se pratique, comme j’ai dit ci-dessus, qu’en quelques endroits, ils amènent quelquefois avec eux un bonze, qui est distingué des autres par la place qu’il prend, par le respect que les autres bonzes lui rendent, et par ses habits de cérémonie, qui ne peuvent être portés que par des bonzes de son rang.

Ces assemblées de dames sont d’un bon revenu pour les bonzes. Il y a dans chaque ville plusieurs sociétés de dix, quinze, vingt femmes, plus ou moins. Elles sont la plupart de bonne famille et sur l’âge, ou bien veuves, et ont par conséquent quelque argent, dont elles peuvent disposer. On les fait supérieures de la communauté tour à tour, chacune pendant un an. C’est ordinairement chez la supérieure, que se