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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/93

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Mais puisque nous sommes tombés sur cet article, écoutez une autre fable, qui est assez plaisante. Un nommé Pung vécut jusqu’à l’âge de huit cents ans : il épousa successivement soixante-douze femmes, à mesure que chacune mourait. La soixante-douzième étant morte à son tour, passa à l’autre monde, et s’informa des ancêtres de Pung, quelle pouvait être la raison qui faisait vivre son mari tant de siècles : est-ce que son nom, ajouta-t-elle, n’aurait pas été écrit sur les registres de Yen vang[1] ? Mais il n’y en a aucun qui lui échappe. Je vous apprendrai ce mystère, répondit le grand-père de Pung : le nom et le surnom de mon petit-fils, votre mari, est véritablement sur le livre : mais voici de quelle manière : quand il fallut arrêter les feuillets du livre, l’officier qu’on avait chargé de ce soin, prit par mégarde le feuillet où la destinée de Pung était écrite : il le tordit en forme de cordonnet[2], et le livre en fut percé et cousu. La femme ne put garder le secret : Yen vang fut informé de cette histoire ; et ayant pris son livre et examiné le cordonnet, il biffa le nom de Pung, qui finit sa vie au même instant.

Cet exemple, continua le philosophe, prouve le contraire de votre doctrine : car enfin en voilà un qui a échappé à la pénétration de Yen vang : peut-on assurer qu’il n’y en ait pas d’autres qui l’aient trompé par quelque supercherie semblable ? Mais pour vous convaincre que tout cela est fabuleux, il suffit de vous dire que du temps de Confucius et de Meng tse, on n’usait point de livres faits de papier, et qu’on écrivait sur des membranes de bambou, ou sur de petites planches de bois. D’ailleurs, comme votre enfer souterrain n’est qu’un amas de terre, d’eau, de pierres, il est visible que des livres et des registres de papier, ne sauraient s’y conserver. Regardez donc ce que vous lisez dans vos livres, comme autant de rêveries.

Mais, reprit-on, ce que vous dites, monsieur, de l’Enfer et des esprits qui y résident, oseriez-vous le dire des esprits tutélaires, soit des villes murées, lesquels sont appelés tching hoang, soit de divers autres endroits qu’on nomme tou ti, eux qu’on honore dans tout l’empire ? Un culte si universel porterait-il à faux ?

Daignez m’écouter, répondit le philosophe ; sous le règne d’Yao et de Chun, les habitations n’étaient pas encore environnées de murs et de fossés : cet usage ne s’introduisit que sous les dynasties suivantes de Hia, et de Chang, afin de se mettre à couvert des insultes qu’on avait à craindre des voleurs et des rebelles. Ensuite on érigea un tching hoang[3], et l’on bâtit des lieux destinés à l’honorer. On en bâtit de même pour honorer les tou ti[4]. Quand on s’avisa de donner à ces esprits le beau nom de ti ti, parce qu’on les regardait comme les pères nourriciers du peuple,

  1. Tout cela se dit selon le système des bonzes et du culte idolâtrique venu des Indes. Ils admettent une espèce de paradis, d’enfer, un Dieu Yen vang, etc.
  2. C'est ainsi qu'on relie souvent les livres chinois.
  3. Tching, signifie mur, et hoang fossé.
  4. Tou signifie terre, ti signifie lieu.