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Page:Du halde description de la chine volume 3.djvu/94

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on les distingua en différentes classes : ceux à qui on attribua le soin des campagnes et des terres cultivées, on leur fit des offrandes de grains, et on les honora sous le titre de ché chin[1]. Ceux qui étaient bornés au soin des villages, et qu’on croyait veiller à la santé des habitants, et à maintenir la paix parmi eux, furent honorés sous la qualité de tou ti. D’autres esprits qui étaient attachés à l’intérieur des maisons, et aux lieux d’assemblées, furent regardés comme les conservateurs de ces endroits ; et ce fut en cette qualité qu’on les honora sous le nom de tchung lieou[2]. On assigna à d’autres esprits les pays déserts et montagneux, et dans l’espérance qu’ils faciliteraient le transport des denrées et des marchandises, ils furent respectés sous le nom d’esprits des hautes montagnes. Enfin ceux qu’on plaça dans les villes qui sont environnées de murailles et de fossés, furent révérés sous le titre de tching hoang, et on les regarda comme des esprits qui préservaient ces villes des malheurs publics.

Voici maintenant, poursuivit le philosophe, où j’en veux venir. Tous ces esprits[3] ne sont au fond et réellement qu’une masse de terre, diversement figurée. Quand on en conserve le souvenir dans l’âme, c’est à peu près de même que lorsque je bois de l’eau, je songe à la source d’où elle me vient, et que je lui sais gré du plaisir et de l’utilité que j’en retire. Oserait-on pousser le blasphème jusqu’à prendre pour l’image du véritable esprit[4] du ciel et de la terre, qui est pur lui-même, tous ces marmousets d’argile, qui représentent tantôt un homme, tantôt une femme, placés au dehors et au dedans des pagodes, ou bien la figure d’un vieillard, telle qu’on la met dans des maisons particulières ?

Ici le philosophe fut interrompu. On nous raconte, lui disait-on, bien des prodiges opérés par les tching hoang, et les tou ti ; et ces prodiges font connaître, et prouvent leur pouvoir. Souvent même on les voit sous la figure d’hommes vivants. Comment pouvez-vous dire qu’ils ne soient qu’une masse de terre ?

Il y a un tour à prendre, répliqua le philosophe[5], pour expliquer

  1. Ché signifie lieu hors des villes.
  2. Nom de la place où étaient leurs représentations.
  3. On voit ici l’embarras du philosophe, par la manière dont il se débat en assez malhabile homme sur les prestiges, et sur d’autres évènements prodigieux, qui ne peuvent être opérés que par des démons, et qu’il veut attribuer aux causes naturelles. Il a assez de bonne foi pour ne pas nier ces effets merveilleux, comme feraient d’autres, qui, pour se tirer d’affaire, sont déterminés à n’admettre aucun évènement qui soit contre l’ordre naturel. Mais aussi est-il vrai de dire que l’évocation et les opérations du démon sont trop ordinaires à la Chine pour pouvoir être niées. C’est une chose remarquable, que dans tous les pays, où le christianisme n’est pas établi, le démon y exerce un grand pouvoir sur les peuples ; et que ce pouvoir cesse, dès que la vraie religion y prend racine. Bien plus, ce pouvoir de l’esprit des ténèbres est entièrement lié par la seule présence d’un enfant chrétien. C’est de quoi on a une infinité d’exemples.
  4. Voici le texte, Tien, ti, tse, gen, tchin, tchi, chin. Il paraît que par ces termes, esprit du ciel, notre athée n’entend autre chose que le ciel même. De même que par les esprits des montagnes et des rivières, il n’entend autre chose que les montagnes et les rivières que nous voyons.
  5. Qu’il y ait des esprits gardiens des villes et des principaux endroits de l’empire, c’est une opinion très ancienne à la Chine. On voit encore maintenant les mandarins les plus