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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/290

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LES CASTORS

Cris et un Sauteux jouèrent leur propre scalpe. Ayant perdu tour à tour, ils se coupèrent l’un à l’autre le vivant trophée. Mgr Grouard ne fut pas peu surpris, un jour, de voir son fusil saisi par un Montagnais, qui l’avait mis en gage, après avoir perdu sa chemise.

La mourre, la morra, donnerait quelque idée du jeu à la main.

Les joueurs se placent, en lignes adverses et face à face, à genoux, assis sur leurs talons, corps contre corps, les mains dissimulées et communiquant derrière les dos, ou sous une peau étendue devant eux. Au signal, l’agitation commence. Des tambourins, maniés par des assistants, frappent en coups rythmés et de plus en plus accélérés. L’un des camps détient un osselet. L’osselet se trouve dans l’une des mains. Au chef de file des adversaires de deviner laquelle. Dans le but de dérouter l’inquisition, toutes les mains, tous les bras, tous les bustes du camp opérateur sont entrés en mouvement. Tout cela se croise, se lève, s’abaisse, se penche, se redresse, se renverse, en spasmes et saccades si rapides qu’un centième de seconde ne fixerait pas le groupe sur la plaque photographique. Des hurlements, vocalisés sur les airs de guerre que battent les tambourins, se précipitent en sauvage crescendo, de concert avec les trépidations des membres, des torses, des têtes. Dardés sur l’adversaire, comme pour le méduser, on dirait que les yeux de chacun vont éclater dans leurs orbites. La sueur inonde les habits et détrempe la terre. Les spectateurs, pris dans l’exaltation commune, dansent, gesticulent, grimacent, vocifèrent, à l’unisson des lutteurs et des tambourins. Incroyable la promptitude avec laquelle le devineur arrête la sarabande, en désignant d’un geste convenu, imperceptible aux profanes, celle de ces dix, vingt, trente mains qui étreint l’osselet, et les force à s’ouvrir toutes ensemble, en preuve qu’on ne l’a point dupé. S’il a dit juste, les arrhes et le jeu changent de côté. S’il s’est trompé, les vainqueurs recommencent dans le vacarme redoublé. Le spectacle est affreux. Il devait être diabolique, au temps du paganisme.

Les Castors passaient, à leur rage furieuse du jeu à la main, des jours, des nuits, sur la neige comme sous la