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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/307

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AUX GLACES POLAIRES

que missionnaire arctique, ne furent pour lui que douceurs, comparées à un mal dont nous n’avons encore rien dit, et qui l’épargna moins que tout autre : l’ophtalmie des neiges, le mal de neige.

Le mal de neige ne fait grâce qu’aux myopes : meilleure est la vue, plus cuisante est la blessure, chez ceux qui ne lui sont pas naturellement réfractaires. C’est le cruel présent du printemps boréal.

Dès avril, le soleil se venge de sa longue nuit, en répandant les feux de ses longues journées sur la plaine des grands lacs et des larges rivières. La réverbération des rayons contre la blancheur polie, miroitante, transforme bientôt la peau européenne en peau rouge, et la peau rouge en peau noire : l’épiderme se cuit, se sèche et tombe par écailles. Les mêmes flots de lumière envahissent les yeux ; et moins d’un jour de marche à travers la fournaise glacée suffit à les enflammer comme des charbons. L’organe s’injecte de sang, sous les premières sensations de coups de lancettes. Des pustules caustiques couvrent ensuite la sclérotique, la cornée. Sur le globe, les paupières passent et repassent comme des râpes ensablées. Les muscles moteurs de l’œil communiquent leur brûlure aux muscles de la tête ; et le cerveau semble se comprimer sous la torsion de tentacules féroces. On voit des sauvages se rouler de douleur sur la glace, et plusieurs rester aveugles pour la vie. Afin de se protéger, les Dénés se placent une toile sombre devant la figure, les Esquimaux s’adaptent une visière d’écorce fendue d’une ligne médiane, les Blancs recourent aux lunettes vertes ; mais rien n’est entièrement à l’épreuve du mal de neige, surtout si le soleil se voile d’un nuage, qui, sans la réduire beaucoup, diffuse sa lumière, et force le regard à scruter davantage l’uniformité blanche, sans ombre ni relief, pour découvrir les chemins.

Le Père Gascon ; voué par sa faiblesse générale, en même temps que par sa vue perçante et ses fréquents voyages, à l’ophtalmie des neiges, n’avait même pas les moyens de se procurer les lunettes soi-disant préservatrices ; et chaque année lui ramenait la cuisante torture. Un printemps, il écrit du-fort Raé :


Une heure avant mon arrivée, ma vue me refusa son ser-