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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/308

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LES COUTEAUX-JAUNES

vice. Je fus obligé de me coucher dans le traîneau et de me résigner à souffrir. Après avoir touché la main aux sauvages, je dus faire le baptême d’un enfant en danger de mort : mais la lumière de la chandelle acheva de m’enflammer la vue. Dès lors, il fallut dire adieu à la lumière, fermer les yeux pendant deux jours et trois nuits, et me résigner au martyre. Les sauvages, souffrant de me voir souffrir, me conseillèrent de les faire suer sur de l’eau chaude dans laquelle on aurait infusé une bonne poignée de thé. Je suivis à la lettre ce conseil.

La troisième soirée, mes yeux étaient tellement enflammés et me causaient de si grandes douleurs que je crus réellement perdre la vue. Le moindre mouvement dans la maison, le moindre courant d’air suffisait pour me causer de vives douleurs. Ne sachant que faire de mes yeux, je les fis suer une troisième fois, et ce fut avec succès. Je souffris moins les jours suivants. Ma plus grande peine a été de ne pouvoir lire l’office divin, ni offrir le saint sacrifice de la messe. Pendant plus d’un mois, j’éprouvai des élancements dans les yeux. La crainte de devenir aveugle et incapable de travailler au salut de tant d’âmes délaissées m’affecta beaucoup.


Entre ses grands voyages, le Père Gascon faisait régulièrement dix kilomètres par jour, sur le fond de baie qui séparait la mission Saint-Joseph, située alors sur l’île d’Orignal, du fort Résolution situé sur la terre ferme.[1]

Emmitouflé de son cache-nez, il allait, oscillant, mais rapide, sur ses raquettes, comme à une fête. La fête était de faire le catéchisme aux enfants des engagés du fort, et aux quelques Indiens de l’endroit.

Catéchiser fut la passion du Père Gascon. Toute sa vie, il catéchisa. Il se tenait des heures au milieu des petits, avec son livre et ses images, leur triturant la doctrine chrétienne. Loué d’une voix juste et forte, il agrémentait les explications par des cantiques montagnais, dont il improvisait les airs, sur des mélopées sauvages.

Aux temps des rassemblements indiens, le printemps, l’automne et à Noël, le zèle apostolique, dont il était l’incarnation, comme le Père Grollier, se donnait plein essor.

  1. L’île d’Orignal, emplacement de l’ancien fort Moose-Deer, de la Compagnie du Nord-Ouest, est sise à 5 kilomètres en face du fort Résolution. Elle est aride, caillouteuse, couverte de maigres sapins. Mgr Faraud choisit cet endroit comme étant alors le plus favorable à la piété des sauvages, et il y bâtit la demeure du missionnaire. En 1890, les édifices de la mission furent transportés par le Père Dupire, aidé du Père Ladet, auprès du fort Résolution.