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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/322

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LES COUTEAUX-JAUNES

que des grands bruits de glaçons qui se concassent, rompent les digues formées par leurs devanciers, et se précipitent de nouveau par avalanches. Ce fracas du large nous épouvante, quand tout à coup il retentit autour de nous. Nous nous croyons dans un vrai rapide. La glace se rue autour du bateau qui tressaille des secousses : nous sommes échoués. Le courant, continuant sa course, nous laisse ses glaces, qui s’accumulent et se dressent bientôt, au-dessus de nos têtes. Ramer est impossible : nous sommes au milieu d’un glacier ; nous mettre à l’eau serait nous faire déchirer et emporter. Force nous est donc d’attendre une éclaircie pour tenter le sauvetage. Dix minutes s’écoulent, dix minutes bien longues, pendant lesquelles ma prière monte à* Marie, la suppliant de nous prendre en pitié et de venir à notre aide. Encore une tentative : nous voilà à l’eau, dans un moment que nous croyons favorable, pour dégager la barque à coups d’épaules. Elle ne remue pas d’une ligne ; elle est sur le roc. Mais voici venir sur nous une banquise plus grande ; si elle nous frappe, c’en est fait ; nous sommes perdus ! Ma prière et ma confiance en Marie redoublent avec nos efforts. C’est le succès : le bateau tourne sur lui-même, comme sur un gond ; nous sautons à bord, évitons la banquise, et gagnons la rive gauche, au prix d’une heure encore de lutte contre la rivière. Nous constatâmes alors que le danger avait été plus grand que nous ne l’avions pensé : nos parois étaient usées par le frottement au point que notre bateau faisait eau de partout et qu’il allait sombrer.

« Après nous être assurés que nous étions solidement amarrés, nous nous couchons dans le bateau même, tant nous redoutons qu’il soit emporté à notre insu. Il neige à plein ciel. La glace s’amoncelle, en grinçant, autour de nous, et nous enserre comme un étau. Dans ce froid et ce vacarme, il m’est impossible de dormir. Je secoue donc mes couvertures et je vais à terre. La descente du lit est moelleuse. J’allume un feu, et j’attends, assis sur quelques branches de sapin, le jour qui ne se presse pas. À l’aurore, la rivière ne nous apparaît plus que comme une nappe solide et blanche : elle est prise par l’hiver.

« Après avoir mis en cache les marchandises, nous pre-