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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/369

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AUX GLACES POLAIRES

apprécié. Il savait l’anglais et le prononçait comme pas-un dans le Nord, et les commis protestants se faisaient fête d’aller entendre ses sermons dans leur langue, aux grandes occasions. Ces occasions étaient surtout Pâques et Noël. Comme il, n’y avait pas d’harmonium, le missionnaire jouait les airs sur sa guitare de France, et, de sa voix d’or, chantait les cantiques en français, en anglais et en esclave. Les solennités de la guitare et des chants étaient impatiemment attendues de tout Nelson.

Pour payer tant de plaisir, il fallait beaucoup de souffrances. Elles arrivèrent.

À la fin de 1880, le Père Lecomte écrivit à Mgr Clut :


… Il faut que je vous dise qu’il m’est advenu, le 9 novembre dernier, un malheur, dont je crains que les conséquences soient funestes à toute ma vie. Je me suis fait avec ma hache une plaie profonde dans le genou, à la même jambe que j’avais assez gravement blessée devant vous, sur le Grand Lac des Esclaves, en 1877. Me voilà frappé depuis presque deux mois, et je ne fais que commencer à marcher. Mon genou reste enflé et sans force, ce qui me fait croire que les nerfs et l’os ont été gravement lésés. Je ne puis plier la jambe qu’un tout petit peu, ce qui est fort gênant pour faire les génuflexions, au saint autel. C’en est fait, je pense, de mon agilité d’autrefois. Enfin, que la volonté de Dieu soit faite !


L’hiver 1885-1886, le Père de Krangué tomba gravement malade, au fort des Liards. Croyant sa fin venue, il envoya deux sauvages prier le Père Lecomte de venir l’administrer.

Afin d’éviter les sinuosités de la rivière Nelson et d’aller plus vite, les sauvages proposèrent au Père Lecomte de le conduire en ligne droite, à travers la forêt. Les voyageurs partirent, portant leurs provisions, leurs couvertures, une hache et un fusil. La marche, croyaient-ils, ne pouvait dépasser six ou sept jours.

En deux jours, ils se trouvèrent au bord de la petite rivière Caribou, comme s’y attendaient les guides : tout allait donc à souhait, malgré la neige et les broussailles. Ils traversèrent la glace, continuèrent, et, quatre jours après, se retrouvèrent au même endroit de la même rivière. Par une inexplicable aberration, ils avaient décrit un cercle.

Se reconnaître égaré, et si près du point de départ, au