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Page:Duchaussois - Aux glaces polaires, Indiens et Esquimaux, 1921.djvu/414

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LES PEAUX-DE-LIÈVRES

s’en est rassasié. Comme je cherchais à lui inspirer l’horreur de ce forfait, il m’a répondu :

J’ai ouï dire par nos anciens que plusieurs se sont sauvé la vie en mangeant la chair de leurs enfants : pourquoi n’aurais-je pas fait comme eux, puisqu’il y allait de ma vie ? [1]

Ces malheureux ne savent pas ce qu’est le mariage ; ils prennent une femme et l’abandonnent ensuite ; ici les femmes se glorifient du nombre de leurs maris. On comprend dès lors les difficultés que nous avons à vaincre. Comment prêcher une religion de pureté et d’amour à une peuplade soumise à des habitudes de ce genre, qui ont force de loi par une prescription de plusieurs siècles ?


L’épreuve, voix sévère de la miséricorde de Dieu, vint plusieurs fois à l’aide du missionnaire : ce furent les famines, toujours favorisées, à Good-Hope, par la nuit de l’hiver qui empêche les grandes chasses ; ce furent les épidémies périodiques, qui hâtent les funérailles des nations Peaux-Rouges.


En 1874, comme la tribu semblait définitivement conquise, un schisme se déclara. Le Père Séguin mit longtemps à découvrir la cause des agissements étranges du groupe révolté : abstention de la messe, affectation de travailler le dimanche, blasphème, etc…


Je pensais que tu connaissais cela, lui dit enfin une sauvagesse. Quand les barges sont revenues ici du Portage la Loche, les hommes, ont dit qu’ils avaient vu un sauvage qui était mort l’année d’avant, et qui se trouvait ressuscité. Ce revenant leur a appris qu’il avait passé l’hiver avec le bon Dieu, et que le bon Dieu l’avait renvoyé sur la terre, pour faire savoir aux autres sauvages que lui, le bon Dieu, était fatigué de l’ouvrage que les prêtres lui donnaient ; qu’il n’avait même plus le temps d’allumer

  1. La tribu des Peaux-de-Lièvres eut, par sa misère, les plus fréquentes occasions de tomber dans le cannibalisme. Les missionnaires trouvèrent le souvenir encore palpitant des boucheries de 1840-1841, où 90 personnes furent mangées, plusieurs tuées par leurs parents. Deux mégères attendirent, sur une grève du Mackenzie, deux employés de la Compagnie qui devaient passer, avec le courrier. Elles les attirèrent à elles et, pendant leur sommeil, les égorgèrent pour s’en repaître.

    « — On vit, dit Mgr Taché, de malheureuses mères tombées dans le désespoir, saisir leurs petits enfants morts d’inanition, les élever en l’air, en poussant des vociférations affreuses, suivies de ce rire désespéré plus cruel que les pleurs, puis rôtir ces enfants pour en déchirer les membres et les partager avec ceux qu’un reste de forces protégeait encore contre le dernier râle de l’agonie. »