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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome I.djvu/504

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LA COSMOLOGIE HELLÉNIQUE

Ptolémée est parvenu à sauver les mouvements apparents des astres errants ; mais pour y parvenir, il a posé des hypothèses qui n’étaient point d’exclusives combinaisons de mouvements circulaires et uniformes. Il n’a pas hésité à employer d’autres artifices cinématiques, sous la seule condition qu’ils lui parussent simples et commodément adaptés aux calculs.

Telle est bien, en effet, la conclusion à laquelle s’était rallié Ptolémée.

L’Astronome de Péluse, en abordant la construction de la Grande Syntaxe mathématique, avait conçu, de la Science, un idéal qui fût conforme à la pensée de Platon. Il rêvait alors d’une théorie si logiquement et si rigoureusement agencée qu’elle pût défier les contradictions des hommes et demeurer immuable à travers les siècles. Cette théorie, il voulait lui donner pour base inébranlable l’axiome posé par les disciples de Pythagore et par Platon : Il faut sauver tous les mouvements apparents des corps célestes par des combinaisons de mouvements circulaires et uniformes. Mais les exigences impérieuses des données de l’observation, la complexité des phénomènes à sauver l’ont contraint d’abandonner cet axiome, comme elles avaient contraint ses prédécesseurs d’abandonner l’axiome péripatéticien : Il faut sauver tous les mouvements apparents des corps célestes par des rotations uniformes de sphères homocentriques au Monde. Il a dû renoncer à exiger des hypothèses astronomiques qu’elles rejetassent tout mouvement qui ne fût pas circulaire et uniforme ; il a dû renoncer à leur imposer une forme conçue a priori, pour leur demander seulement d’être aussi simples que possible et de sauver les apparences aussi exactement que possible ; et, du même coup, il a dû renoncer à l’espoir de construire une Astronomie immuable et éternelle ; il a entrevu que pour sauver de mieux en mieux des apparences de mieux en mieux observées, il faudrait, de temps en temps, à des hypothèses devenues insuffisantes, substituer de nouvelles hypothèses plus complexes. C’est pas cette conclusion, fruit de son expérience, qu’il exprimait en ces termes[1] : « Chacun doit s’efforcer de faire concorder du mieux qu’il peut les hypothèses les plus simples avec les mouvements célestes ; mais si cela ne réussit point, il doit prendre celles des hypothèses qui s’adaptent aux faits. — Ἀλλὰ πειράσθαι μὲν ὡς ἔνι μάλιστα τὰς ἁπλουστέρας τῶν ὑποθέσεων ἐφαρμόζειν ταῖς ἐν τῷ οὐρανῷ ϰινήσεσιν, εἰ δὲ μὴ τοῦτο προχωροίη, τὰς ἐνδεχομὲνας. »

  1. Claude Ptolémée, Composition mathématique, livre XIII, ch. II ; éd. Halma, t. II, p. 374 ; éd. Heiberg, pars II′, β′, p. 532.