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Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/62

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leurs flammes montent blondes en pâlissant, bleuâtres, plus claires ; autour, le vague ombreux des feuillages sombres, et le vague confus des porcelaines peintes, et, derrière, le clair vague de la glace et des reflets pacifiés ; le délicieux bal où je fus cet hiver, en le salon plein de fleurs et de feuillages, discrètement illuminé, quand passèrent ces deux jeunes filles, blanches Anglaises ! ici le tiède énombrement des choses, et ma sainte amie, mienne ; une chaleur, peu à peu, de son corps immobile ; au long de son corps, en mon corps, tout en ce long qu’elle effleure, une chaleur croît ; pourquoi ne veut-elle point, si elle est malheureuse de sa vie, la changer, et avec moi vivre ? que doucement tiède est cette chaleur, et de son corps quel parfum monte ! ce parfum, quel est-il ? un mélange de parfums ; si subtil et qui pénètre ; elle-même a mélangé ces essences ; et ce parfum monte de toute sa chair, il monte de ses vêtements, il les traverse, et s’issut de son corps vêtu ; et de ses cheveux ensemble noués l’haleine s’épand ; aussi de ses lèvres ; aussi, princièrement, de ses lèvres (oh les moqueuses charmeresses) s’expire l’odorante exhalaison ; baiserai-je ces lèvres, de mes lèvres les aspirerais-je ? elle dort, la pauvre, entre mes bras amis ; et des parfums d’elle je me grise ; ce parfum mêlé, subtil, intime, dont elle a parfumé son corps, c’est qu’il se mêle au parfum même de son corps, et c’est lui, son corporel parfum, en l’admirable intensité des essences de fleurs conjointes ; l’odeur, oui, victorieuse en cette haleine ; de sa féminéité l’odeur, en ces bouffées ; elle ; et le profond mystère de son sexe dans l’amour ; luxurieusement, oh démonialement, quand sous la maîtrise virile les puissances de chair se délivrent, en le baiser, ainsi l’acre et terrible et pâlissante fumée d’elle ; ah mourir de cette joie !… Elle remue sa tête, se tourne un peu ; l’ai-je serrée trop fortement ; quelle excitation avais-je ? elle me parle, mi dormante :