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Page:Dulac - La Houille rouge.pdf/221

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avait fallu des torrents de sang chaud pour en laver leur raison.

— Nous nous sommes trompés ! disait le tassement subit de leurs épaules.

Et leur attitude marquait une si douloureuse surprise qu’elle décourageait les plus légitimes récriminations. Cette beauté de pénitents contrits, ils la conservèrent jusqu’à ce que la Victoire de la Marne ait sauvé la face de l’honneur national. Toute la jeunesse était tombée, mais la France était debout ; et les têtes chenues se redressèrent, comme si le pardon leur fut venu d’En Haut.

La vague de fond de l’invasion avait à peine menacé Paris pendant quinze jours, et ces deux semaines d’angoisses avaient suffi pour bouleverser de fond en comble toutes les morales et toutes les conceptions… La vie avait perdu soudain toute valeur intrinsèque et rien ne parut ridicule comme de s’effarer de ce que l’évaluation de nos morts atteignait un chiffre désolant. Les cadavres s’amoncelaient et l’esprit se familiarisait avec la fatalité des hécatombes au point de se désintéresser des vagues individualités. Même, l’anonymat fut infligé, — sans utilité apparente, — aux braves qui mouraient bien ; la gloire ne devait pas être, dans cette guerre, la monnaie de l’héroïsme.

En moins d’un mois, toutes les notions essentielles de la vie sociale avaient été renversées ; et l’argent subit la même dépréciation que la vie. Les moratoria