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ASCANIO.

Le jeune homme, malgré l’obscurité où le laissait la précipitation de dame Catherine, traversa d’un pas sûr une assez vaste cour où une bordure d’herbe encadrait chaque pavé, et que dominaient de leur masse sombre de grands bâtimens d’aspect sévère. C’était bien, au reste, la demeure austère et humide d’un cardinal, quoique depuis longtemps son maître ne l’habitât plus. Ascanio franchit lestement un perron aux marches vertes de mousse, et entra dans une immense salle, la seule de la maison qui fût éclairée, une espèce de réfectoire monacal, triste, noir et nu d’ordinaire, mais depuis deux mois brillant, vivant, chantant.

Depuis deux mois, en effet, dans cette froide et colossale cellule se remuait, travaillait, riait, tout un monde d’activité et de bonne humeur ; depuis deux mois dix établis, deux enclumes, et au fond une forge improvisée, avaient rapetissé l’énorme chambre ; des dessins, des modèles, des planches chargées de pinces, de marteaux et de limes ; des faisceaux d’épées aux poignées ciselées merveilleusement et aux lames découpées à jour ; des trophées de casques, de cuirasses et de boucliers damasquinés en or, sur lesquels ressortaient en bosse les amours des dieux et des déesses, comme si l’on eût voulu faire oublier par les sujets qu’ils représentaient l’usage auquel ils étaient destinés, avaient habillé les murailles grisâtres ; le soleil avait pu largement entrer par les fenêtres toutes grandes ouvertes, et l’air s’était égayé aux chansons des travailleurs alertes et bons vivans.

Le réfectoire d’un cardinal était devenu l’atelier d’un orfèvre.

Pourtant, pendant cette soirée du 10 juillet 1540, la sainteté du dimanche avait momentanément rendu à la salle