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ASCANIO.

qui, chez elle, était devenue une monomanie. Elle voulait devenir la femme de Benvenuto. Lorsqu’elle était venue chez lui, croyant lui servir de jouet, et que celui-ci l’avait traitée avec égard comme une femme et non comme une belle, la pauvre enfant se trouva tout à coup relevée par ce respect inattendu et par cet honneur inespéré, et elle sentit en même temps une reconnaissance profonde pour son bienfaiteur, un naïf orgueil de se voir si noblement appréciée. Depuis, et non pas sur l’ordre mais sur la prière de Cellini, elle consentit joyeusement à lui servir de modèle, et en se voyant tant de fois reproduite et tant de fois admirée en bronze, en argent et en or, elle s’était tout simplement attribué la moitié des succès de l’orfèvre, puisque, après tout, ces belles formes, si souvent louées, lui appartenaient beaucoup plus qu’au maître. Elle rougissait volontiers quand on faisait compliment à Benvenuto de la pureté des lignes de telle ou telle figure ; elle se persuadait avec complaisance qu’elle était tout à fait indispensable à la renommée de son amant, et était devenue une partie de sa gloire comme elle était devenue une portion de son cœur.

Pauvre enfant ! elle ne savait guère qu’au contraire elle n’avait jamais été pour l’artiste cette âme secrète, cette divinité cachée que tout créateur invoque et qui le fait créateur ; mais parce que Benvenuto semblait copier ses attitudes et sa grâce, elle croyait de bonne foi qu’il lui devait tout, et elle s’était peu à peu enhardie à espérer qu’après avoir élevé la courtisane au rang de sa maîtresse, il éleverait la maîtresse au rang de sa femme.

Comme elle ne savait guère dissimuler, elle avait très